À la croisée de l'art et de la médecine : Hypocondrie/Art
Arts visuels

À la croisée de l’art et de la médecine : Hypocondrie/Art

L’exposition collective À la croisée de l’art et de la médecine met le scalpel entre les mains d’artistes de renom pour une opération qui laissera des marques, car elle ne se fait pas sans heurt.

Lors du vernissage de cette méga-exposition bicéphale qui se déroule simultanément à la Galerie d’art de l’Université de Sherbrooke et à la Galerie d’art Foreman de l’Université Bishop’s, certains dignitaires nous ont servi le cliché comme quoi la médecine est un art. Certes, mais lorsqu’on est confronté aux nombreuses oeuvres d’À la croisée de l’art et de la médecine, on constate que ce sont davantage les zones d’ombre du monde médical qui ont inspiré les artistes invités. Il ne s’agit donc pas d’une célébration de la médecine (l’art contemporain a d’autres chats à fouetter), mais d’une réflexion sur son état.

La vision du portraitiste français Philippe Bazin est particulièrement intéressante, car il fut médecin avant d’être artiste. "J’ai arrêté d’exercer il y a 22 ans. En fait, je me suis dit que je ne pouvais plus pratiquer après avoir réalisé une première série de portraits." Il s’agissait de visages de vieillards sur le point de mourir à l’hôpital. "Ce que j’ai vu dans ces photos en noir et blanc dépassait largement ce que je pouvais imaginer. J’ai découvert tout ce qui se passait dans ce lieu."

L’hôpital est un endroit où l’on meurt, mais c’est également un lieu de naissance. Cette dualité est au coeur du travail de Philippe Bazin. Son oeuvre Nés, qu’on retrouve à la galerie de l’U de S, consiste en une série de portraits de nouveau-nés. "Ces photos interpellent sur le sens de l’existence. Michel Foucault disait que la médecine n’est pas une philosophie, mais qu’elle engage le devenir philosophique de l’homme. Le médecin n’a pas un rôle purement technique."

COEURS EN ECLIPSE

Les coeurs trafiqués de l’artiste Joey Morgan sont de retour sur l’un des murs de la galerie de l’U de S – elle y présentait l’expo Science (véritable) {Anatomies // comparées} en 2005. Ses sombres altérations photographiques sur fond rouge occupent une place de choix dans l’exposition collective en cours.

Alors que la médecine devient de plus en plus efficace grâce aux nouvelles technologies, cette oeuvre de Joey Morgan prend la forme d’un appel pour une plus grande humanisation des soins. "Les techniques d’imagerie médicale sont extrêmement pointues. Reste qu’au-delà de la représentation de l’organe, il y a des aspects du coeur qui ne seront jamais visibles. Le coeur est une puissante métaphore."

LE CABINET DU DR TANR

C’est à la galerie de l’Université Bishop’s qu’on retrouve les affiches de la Sherbrookoise Tanya St-Pierre. Depuis 2001, elle bâtit un corpus d’oeuvres qui portent la mention d’Absurdus Medecina Hospitalis (AMH). "C’est un lieu fictif que j’ai inventé pour le Dr TANR." Sous ce pseudonyme, cette artiste de la région propose un regard tordu et pertinent sur différents maux sociaux. "Je m’intéresse au corps marginalisé à travers la lunette déformante de la représentation scientifique. Ce sont deux univers qui m’ont toujours fascinée." À l’AMH, la vulgarisation scientifique prend un autre sens et permet à Tanya St-Pierre de "varloper" l’industrie de la chirurgie plastique, celle qui est pratiquée sur des corps jugés sains. "Aujourd’hui, la représentation du corps est beaucoup plus clinique alors qu’avant, c’était religieux, romantique…"

Notez ça à votre agenda: vous avez un rendez-vous avec le Dr TANR et vous allez aimer ça.