Sympathy for the Devil : Sex, drugs and museum
Le rock’n’roll fera vibrer le Musée d’art contemporain avec l’expo Sympathy for the Devil. Un panorama de 40 ans d’échanges rythmés entre musique et arts visuels.
À une certaine époque, des groupes religieux prétendaient qu’il suffisait d’écouter à l’envers des chansons rock pour y entendre des messages diaboliques… Cette vision des choses fut certainement alimentée (avec ironie?) par des chansons comme Sympathy for the Devil des Rolling Stones (1966). Une image a collé à la peau (en sueur) des musiciens rock. Il suffit de taper "rock’n’roll" et "Satan" sur Internet pour tomber, encore de nos jours, sur des propos de ce genre.
La révolution rock, c’est bien sûr bien autre chose que cette caricature. Elle fut entre autres une source formidable d’inspiration pour les arts visuels et, vice versa, les arts visuels ont alimenté l’imaginaire de ce type de musique. C’est l’hypothèse, très documentée, que présente l’expo Sympathy for the Devil: art et rock and roll depuis 1967 qui débute au Musée d’art contemporain (MAC).
L’AIR DU TEMPS
L’art et la musique: voilà une problématique qui est dans l’esprit de l’époque. En 2007, le Barbican à Londres présentait Panic Attack! Art in the Punk Years et, l’année précédente, le centre P.S.1 à New York avait monté l’événement Music Is a Better Noise présentant des artistes qui créent de la musique et des musiciens qui font de l’art… Mais alors, qu’est-ce que cette expo permet de dire de plus que les autres?
Dominic Molon, conservateur au Musée d’art contemporain de Chicago et commissaire de cette exposition (qui a été présentée à l’automne 2007 à Chicago et l’été dernier à Miami), explique que, en effet, "ce sujet a été discuté, en particulier dans des musées en Europe". Mais il s’empresse d’ajouter qu’"il n’y avait pas encore eu, dans une institution nord-américaine, une exposition proposant un tel panorama historique. Les expositions qui ont traité d’art et de musique populaire se sont concentrées sur des oeuvres récentes consacrées à la culture rock, en ayant une approche excessivement littérale. Elles mettaient de l’avant des créations décrivant le phénomène rock, plutôt que l’échange entre art et musique ainsi que les effets réciproques de l’un sur l’autre. J’avais aussi remarqué qu’il y avait un surprenant manque d’études dédiées à ce sujet, ce que notre catalogue d’exposition permet de corriger".
En effet, ce catalogue est une ressource d’informations exceptionnelle qui suit de New York à Los Angeles, en passant par la Grande-Bretagne et le Japon, l’aventure esthétique rock. L’exposition au MAC de Montréal respectera d’ailleurs cet ordre de présentation géographique (qui ne fut pas utilisé à Miami) et permettra de passer d’Andy Warhol et son Velvet Underground à Raymond Pettibon et son implication dans le groupe Black Flag, en passant par Douglas Gordon et Yoshitomo Nara… Vous y verrez une esthétique contestataire déchaînée, parfois androgyne, toujours irrévérencieuse par rapport aux normes établies.
LE DIABLE AU CORPS
Il se détache de l’ensemble un constat: le rock a changé notre manière d’être dans nos corps et la manière de le représenter. Molon est catégorique sur le sujet. "C’est vrai, en particulier en termes de mode. Il y a des looks (coupes de cheveux, types de corps…) qui ne peuvent se comprendre qu’en termes de rock’n’roll." Ce sera donc une expo sur l’énergie créatrice et libératrice du rock que "les artistes ont admiré pour sa capacité à transmettre des images, des idées, des humeurs et des atmosphères en combinant les domaines du visuel, du son et du corps d’une manière qui a touché beaucoup de gens".
MUSIQUE CONTRE ARTS VISUELS?
Cette expo souligne-t-elle un recul des arts visuels dans les médias et dans l’intérêt du public au profit de la musique? Pour Paulette Gagnon, responsable à Montréal de cette expo, c’est un faux débat. "Nous avons au MAC plus de visiteurs qu’il y a dix ans ou même cinq ans. Les jeunes aiment beaucoup les arts visuels et le public en demande plus. Les médias ne suivent pas, mais ça, c’est une autre question…"
UN BEMOL?
Certains pourront souligner l’absence d’artistes québécois dans cette expo. "Nous n’avions pas la place, de répondre madame Gagnon. J’ai même dû enlever deux pièces présentées à Chicago." Elle ajoute qu’elle aurait "aimé ajouter une salle entière d’artistes québécois", mais qu’elle a eu "du mal à en trouver cinq qui aient travaillé sur le rock. Au Québec, le rock’n’roll n’a pas touché autant d’artistes qu’à New York ou en Europe"…
Signalons que Paulette Gagnon effectuera une visite guidée de cette expo le 29 octobre à 18 h. Il faudra aussi se rendre au MAC pour voir, tous les vendredis, en continu, Sympathy for the Devil réalisé par Jean-Luc Godard en 1968, film qui traite des Rolling Stones et des mouvements contestataires à Londres.
MONTREAL A L’UNISSON…
Christian Marclay, qui fait partie de l’expo au MAC, sera aussi présent à la Fondation DHC/ART (dès le 30 novembre) avec Replay, qui permettra d’expérimenter plusieurs oeuvres vidéo et sonores de cet artiste. Bien sûr, dans le même esprit, il faut aller voir et écouter l’expo Warhol Live qui a débuté au Musée des beaux-arts. Il faudra aussi surveiller la soirée Warhol Cabaret de Thierry Marceau, le 9 octobre au Théâtre Plaza (qui précédera son solo à la Galerie de l’UQÀM, dès le 24 octobre). Et puis, à la Fonderie Darling, Jean-François Laporte nous convie, jusqu’au 5 octobre, à son installation visuelle et sonore intitulée Psukhô. (N.M.)
Raymond Pettibon, Sans titre (Fight for Freedom!), 1981. Encre sur papier. photo: Avec l’aimable permission de l’artiste et de Regen Projects, Los Angeles |
Une importante série de dessins de Raymond Pettibon sera installée au MAC. Depuis 30 ans, cet artiste réalise des dessins très BD et très contestataires où il interroge les valeurs sociales et politiques de notre époque. Raymond Pettibon (né Raymond Ginn) a aussi créé des pochettes de disques pour le groupe punk-rock hardcore californien Black Flag (1977-1986), cofondé par son frère Greg Ginn. Pour ce groupe, il a également conçu un logo aux allures anarchistes. Il fut même un de ses bassistes, au tout début de ses activités, alors que le groupe était connu sous le nom de Panic.
Richard Kern, Lung as Brat, 1986. Épreuve argentique. photo: Avec l’aimable permission de l’artiste et de Feature Inc., New York |
Il a élaboré des vidéos rock pour Sonic Youth (Death Valley ’69), Marilyn Manson (Lunchbox), The Breeders (Divine Hammer), King Missile (Detachable Penis)… Le New-Yorkais Richard Kern est un des représentants de la scène underground et radicale qui apparaît à la fin des années 70. Il fait partie du Cinéma de transgression dont le manifeste très provocant de Nick Zedd paraît en 1984. Cette photo, utilisée pour la pochette du quatrième album de Sonic Youth, intitulé EVOL (1986), est en fait tirée de son film Submit to Me (1985). On y voit Lung Leg, étoile filante du milieu underground qui a joué dans d’autres films de Kern, dont le célèbre Fingered. Son travail fut dénoncé puis encensé par la critique et les mouvements féministes…
Cet artiste japonais remet en question la vision idéalisée de l’enfance. Dans ses dessins, ses petites filles s’ennuient, semblent déjà blasées et trouvent un peu d’énergie en fumant, en grattant une guitare, en coupant de belles fleurs afin de les jeter ou en jouant à mourir… Les sujets et même le style de Yoshitomo Nara montrent un désir de tuer le joli, le bon goût, le bon ton, le petit bonheur de la société petite-bourgeoise. Une attitude librement inspirée du mouvement punk, récupéré avec une ironie mordante.