Yves Beauregard : Arrangé avec le gars des vues
Toute collection est le reflet de la pensée de celui qui la constitue. Celle d’Yves Beauregard présentée au MNBAQ en est la preuve.
La pensée de l’historien s’est mutée en impératif dans l’exposition Québec et ses photographes, où sont montrées près de 400 images de tous les formats qui énumèrent chaque sujet et procédé de la photographie à Québec entre 1850 et 1908. Nous l’aurons compris, cette collection est historique et le Musée la présente très adéquatement en soulignant que les critères de sélection de l’institution ont "éclaté" sous le poids d’un "don global" de 5000 morceaux, dont on n’aura pourtant retenu que les trois quarts.
Frappant d’abord, la scénographie est d’une belle simplicité; les espaces de présentation, sans décor inutile, sont parfaits pour apprécier les pièces. Saluons aussi le graphisme heureux du catalogue: les reproductions y sont de qualité et présentent les clichés sans coupures ni ajouts. Bravo!
MISES AU POINT
OEuvre majeure présentée, le panorama de Smeatons (photo) montre la capitale vue de Lévis. Outre le mérite qu’il a d’être grand (une prouesse au 19e siècle, qu’importe ce qui est sur l’image), il est surtout bien composé et proche des vues aquarellées, gravées ou peintes du Québec de l’époque. Cependant, en lisant le texte qui l’accompagne, on comprend tristement que la relation aux beaux-arts a été omise de la collection-exposition. Par exemple, pourquoi Smeatons présente-t-il le profil de Québec tout en conservant en avant-plan les trois célèbres auberges de Lévis naguère peintes par Krieghoff? Parce qu’il est vrai que tous ces artistes et amateurs ont contribué à élever Québec et ses gens au rang d’icônes. Mais comment ont-ils conçu cette image idéalisée, artistique?
La section sur les techniques est exhaustive, mais on n’explique malheureusement pas pourquoi les créateurs les ont choisies. Pourquoi Vallée et d’autres comme Henderson (absent regretté) ont-ils continué à utiliser à corps défendant, même en hiver, les négatifs dits "humides" qui gelaient littéralement et devenaient inutilisables? Cette technique capricieuse avait pourtant été abandonnée pour les négatifs "secs" par les photographes commerciaux. Hasard? Ou sinon, résultat d’un goût esthétique pour les effets fugitifs veloutés que font les mouvements de l’eau et des feuilles sur de telles plaques? Effets qui étaient si chers aux peintres romantiques ou impressionnistes, que la photo aura à son tour influencés. L’absence de réflexion sur ces matières, même dans le catalogue, alors que la plupart de ces photographes étaient artistes de formation, est surprenante. D’ailleurs, à sa fondation, le premier musée des beaux-arts du pays n’a-t-il pas été créé à l’initiative des deux plus prestigieux photographes du Bas-Canada, Henderson (président) et Notman?
Cela dit, on sent peu la volonté de constituer un ensemble cohérent de grande qualité. L’impression donnée est celle d’images documentaires amassées compulsivement et qui ont peu de rapport avec l’intention d’art véritable, hormis quelques beaux accidents: les trois daguerréotypes de Lemire et quelques grands tirages en bon état (Livernois, Vallée, etc.), qui valent bien des cartes de visite et stéréogrammes. Ces dernières petites pièces ont davantage une valeur documentaire. Leur place est-elle au Musée des beaux-arts? Si oui, les Archives nationales vont-elles devoir y verser leurs fonds photographiques entiers?
Une collection est le fruit d’une vie de réflexion et d’une sélection rigoureuse menant à la reconnaissance ultime: se retrouver au musée, qui est en quelque sorte le "temple de la renommée" de l’art. Suivant cette métaphore, un amateur de hockey dirait qu’en laissant entrer tous les joueurs d’une ligue dans ce lieu de consécration, ce même lieu perdrait sa signification. En toute démocratie, dans l’art comme au hockey, seuls les plus ingénieux qui ont habilement transcendé la technique restent. Les autres sont oubliés.
À voir si vous aimez /
Les gravures de Smilie, les aquarelles de Cockburn et les tableaux de Sandham et de Jacobi.
AUTOUR D’ANGELA GRAUERHOLZ
Toujours au Musée, nous pouvons admirer quelques photographies de La Grande Traversée, moments d’éternité issus du Fonds national d’art contemporain français. Les Grauerholz, Aballéa, Mercadier sont à retenir pour leur force et leur beauté. Dans cette série, remarquez l’usage fréquent du flou qui est toujours si bouleversant, empreint de nostalgie. Même si les pièces présentées dans les cellules souffrent un peu d’un manque de recul pour qu’on puisse les apprécier, on oublie aisément ce détail devant la qualité refusant l’anecdote. 4/5