Aline Martineau : Le vertige d’Aline au pays des merveilles
Aline Martineau transformera bientôt Matéria en chapiteau avec son exposition Cirque etc. Entrevue accordée dans son atelier, parmi ses légères sculptures de papier.
Alors qu’on se balade ensemble entourés d’oeuvres, j’essaie de savoir qui est cette femme. Je la cherche à travers ses loups-poissons, funambules et saltimbanques qui tiennent sur de ténus fils de fer, tout investis du vertige dans lequel ils se balancent périlleusement. Ce "jeu dangereux", comme elle l’appelle, c’est celui du "travail qui cherche les limites de la matière, défiant le point d’équilibre avant la rupture". Il suffit de voir comment se répartissent les masses des corps de papier autour de ces échelles de broche métallique pour comprendre à quel point la gravité y est subtilement apprivoisée. Car si cette dernière menace les oeuvres d’effondrement, c’est aussi elle qui confère à ces êtres fantastiques le frémissement délicat de l’insecte sur le brin d’herbe ou de l’épi qui palpite sur sa tige.
Aquafortiste de formation, Aline Martineau sait travailler la ligne avec élégance tout en s’étonnant elle-même de la constante "valeur graphique" de ses pièces en lien avec ce travail passé. Ses fines lignes sont éprises d’arabesques difficiles dont l’allongement se répercute dans des formes expressives soulignant la gracilité des personnages. Par ailleurs, cet étirement vertical de leurs corps couplé à la hauteur de leur présentation induit un curieux phénomène que la créatrice me décrit comme un "changement d’échelle obligé de la part du spectateur", qui se sentira pareil à la petite Alice du pays des merveilles "devant la minuscule porte qui mène au jardin".
L’enchantement émane aussi de la palette de couleurs vives donnée par les papiers récupérés et collés en couches successives, puis pelés au besoin pour faire la peau et les vêtements des petits êtres. Comme l’artiste me le confie, "il est plus facile d’obtenir une saturation intense des couleurs de cette façon, plutôt que de les teindre". L’effet est saisissant, la vibration des contrastes est vigoureuse, donnant aux protagonistes une présence surréelle.
Là où Martineau excelle, c’est aussi dans l’expression qu’elle parvient à donner aux personnages. Leurs visages chantent, parlent, s’adressent à nous avec un rendu d’une telle véracité qu’on pourrait pratiquement les croire vivants. Même si cela semble exagéré, allez les entendre faire "Oh!", perchés sur leurs fils et échelles, et donner, comme leur auteure, leur "version poétique de la réalité".
Pour conclure, l’artiste me faisait remarquer qu’elle ne se "cantonne pas uniquement à l’univers du cirque, non plus qu’au seul papier ou fil de fer comme matières d’exploration". Quelques pièces supplémentaires de l’exposition à venir sont l’expression de la cohérence de cette démarche sincère, réussie.
À voir si vous aimez /
Abécédaire du cirque (éd. Les heures bleues), le Cirque du Soleil, les films d’animation de Tim Burton