La République des rêves : Onirique attaque
Dans La République des rêves, le spectateur reste pantois face à des pantins au coeur d’un bien étrange carnaval.
C’est une étonnante mascarade qui se déroule ces jours-ci à La Nef de Sherbrooke. Sur les murs du centre d’arts, des personnages fantasques à l’allure humaine ou animale prennent part à d’inquiétantes cérémonies. Malgré leurs noirs desseins et une apparente solitude, les pantins de Joanna Chelkowska font sourire. "Ça reste plus rigolo que sombre, précise l’artiste sherbrookoise. C’est de l’humour noir. Plus c’est farfelu et bizarre, plus j’aime ça."
Joanna Chelkowska est née en Algérie de parents polonais. Elle réside au Québec depuis environ 21 ans. À la suite d’un baccalauréat en dessin et peinture de l’Université Concordia, elle s’est mise à travailler son art à temps plein et de manière solitaire, quoique sereine. "Depuis que j’ai terminé mes études, mon style évolue bien. Lorsque tu te trouves face à toi-même dans l’atelier, tu te trouves." Après quelques recherches sur le motif – "Ce fut pour moi une façon de résoudre le problème du 3D: je répète le motif et ça crée la dimension", explique-t-elle -, l’artiste propose aujourd’hui une peinture figurative et chargée. "Le plus difficile, c’est de garder le spectateur captivé. Son oeil doit circuler dans le tableau. Je veux qu’il ait l’impression que quelque chose se passe, quelque chose d’anormal." Il est vrai que face à ses toiles, on imagine une certaine tension psychologique entre les personnages.
Au-delà du style, Joanna a adopté une technique bien particulière pour sa peinture: la détrempe. Cet ancêtre de la peinture à l’huile consiste à mélanger des pigments de couleur à du jaune d’oeuf. "Ça permet de faire des couches translucides. Ça donne un côté rêveur à la peinture." Même la couche de fond de ses toiles est faite à l’aide d’une mixture maison. "C’est comme un primer. Au toucher, c’est froid et lisse. Ça me donne plus de contrôle sur l’intensité des couleurs."
Justement, à entendre l’artiste, tout semble être "prétexte pour jouer avec les couleurs", mais le travail de Joanna est bourré de symboles en plus d’évoquer l’univers du théâtre. "Je perçois le travail de peintre figuratif comme celui de metteur en scène. Je suis en contrôle de mes personnages; j’en fais ce que je veux. Quand je crée un tableau, je ne pars pas avec une idée précise. La narration se construit au fur et à mesure."
Quant à la façon de représenter ses personnages, l’artiste s’inspire de Tadeusz Kantor, un artiste multidisciplinaire polonais. "Il a beaucoup utilisé le mannequin dans son théâtre. Pour lui, ça symbolisait la mort, la privation de conscience."
La série de peintures et de dessins pour La République des rêves a débuté en 2007, alors qu’un ami de l’artiste travaillant pour le Bloc québécois lui a commandé une toile à accrocher dans son bureau. Ainsi, trois oeuvres "politisées" font partie de l’exposition. On y trouve un groupe de personnages, des hommes et des animaux, qui jouent aux cartes dans une pièce dont les murs sont tapissés de fleurs de lys. Les toiles peuvent suggérer que la politique est "un jeu que certains prennent au sérieux". Quant à Joanna, c’est le jeu des couleurs qui l’amuse.