Jacques Bilodeau : Pénétrer le monde de l’art
Jacques Bilodeau nous introduit dans ses sculptures-architectures. Dans Faire son trou, il nous plonge dans un monde néominimaliste sensuel et suggestif.
Voici une oeuvre qui, littéralement et symboliquement, vous emportera, vous fera léviter entre ciel et terre… C’est la dernière fin de semaine pour expérimenter les deux installations de l’artiste et architecte Jacques Bilodeau placées dans le premier gratte-ciel de Montréal, l’édifice Aldred dans le Vieux-Montréal.
C’est la première partie, placée au rez-de-chaussée de l’immeuble, qui vole la vedette. Trois grandes structures imposantes, composées d’un feutre épais, sont suspendues au plafond par des treuils motorisés. Comme le dit le communiqué de presse, Bilodeau poursuit ici ses recherches sur des architectures molles et transformables. Mais je pourrais aussi y voir une poursuite de certaines réflexions sur la sculpture molle des minimalistes et postminimalistes des années 1960-1970. Cette intervention fait penser en particulier à celles de Robert Morris, elles aussi en feutre. Par exemple, vous pourrez y voir un lien avec la sculpture très vaginale de Morris intitulée House of The Vettii qui s’inspire librement d’une des plus célèbres résidences de Pompéi (connue entre autres pour sa fresque de Priape à son entrée, mais aussi pour ses représentations de petits amours ailés).
Les trois structures de Bilodeau évoquent, elles aussi, des formes invaginées, mais elles pourraient aussi faire penser à des anus, à des bouches ou à d’autres trous, orifices profonds, cavités humaines ou non humaines… Une fois que vous vous serez introduits dans une de ces formes (dont une très creuse et particulièrement sombre), vous pourrez actionner, grâce à des manettes, les treuils et faire remonter ces espaces entre ciel et terre comme si vous étiez une chenille dans son cocon… Une belle régression vers le ventre de la mère? Un accouchement à l’envers? Une réinterprétation, pour adulte, de la cabane dans les arbres pour les enfants? Une sorte de trou de marmotte pour humain? L’incarnation d’un immense fantasme où la pénétration ne se fait plus uniquement par le sexe, mais par le corps tout entier? Lorsque je me suis introduit dans une des ces formes, je me suis senti comme dans le film Parle avec elle, d’Almodovar, où un homme devient minuscule et s’introduit tout entier dans le corps de la femme qu’il désire… Bilodeau joue avec toutes ces images, à la fois organique, anthropomorphique, biomorphe, pour créer une oeuvre symboliquement très évocatrice, un peu comme le fait l’artiste brésilien Ernesto Neto qui crée des cocons faisant penser à des bas de femmes.
Au 22e étage du même immeuble se poursuit l’exposition de Bilodeau avec des sculptures de cuir encore plus inquiétantes que les pièces du rez-de-chaussée. Accrochées sur les murs ou suspendues au plafond, ces protubérances ont à la fois quelque chose de sensuel et de violent. Bilodeau nous invite à regarder des formes charnues faites de cuir, sous-tendues d’acier et de rembourrage. Je ne sais si cela est dû au cuir utilisé ou bien à leur forme, mais ces structures évoquent un univers sado-maso. Comme plusieurs postminimalistes, Bilodeau sait offrir une relecture très sexuelle du minimalisme, mouvement qui souvent a semblé froid.
À voir si vous aimez /
Robert Morris, Ernesto Neto