C’est arrivé près de chez vous : Qui veut la peau de l’art actuel?
Sur fond de réconciliation s’ouvrira, ce jeudi 4 décembre, l’exposition d’oeuvres contemporaines québécoises C’est arrivé près de chez vous au MNBAQ.
Le débat fait rage dans la grande salle de presse qu’est notre vie quotidienne: comment est-il possible de rallier conservatisme politique et art contemporain? L’exemple donné est la ville de Québec d’après la fusion. Une ville qui réussit, selon les cartes électorales et sa topographie, à aller dans toutes les directions – de gauche à droite, de bas en haut et finalement, au centre. Un fier microcosme de gentilés qui n’en finissent plus de ne pas dormir, à force d’aimer ou d’haïr l’art contemporain et les trop nombreuses élections.
Il y a toujours un malaise à discuter du lien délicat existant entre l’art et le politique sans perdre pied. Walter Benjamin en a déjà si bien parlé dans son ouvrage clé, L’OEuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, où il constatait ceci: "Tous les efforts pour esthétiser la politique culminent en un seul point. Ce point c’est la guerre." Nuancer ici ses multiples conclusions est impossible, disons seulement qu’elles offrent une piste d’analyse fréquente en art contemporain. À savoir, quels sont les dialogues de la politique (et du politique) avec l’artiste? Mais aussi, les stratégies de ce dernier face à un public complexe où, parfois, conservatisme du goût et politique semblent liés et heurtés par l’inconnu d’une fuite en avant proposée par ce même créateur. Dans une des salles du Musée, en préparation, plusieurs démiurges actuels se sont exprimés pour nous.
Sébastien Giguère, membre de BGL, répondait dans ces termes: "Nous refusons les postures politiques pour atteindre à une intemporalité de l’oeuvre. Car c’est la poésie qui doit primer avant tout; le désir de rêver notre monde en le transformant par un art efficace prenant en compte la multiplicité de ses interprétations." Patrick Altman fait écho à ces propos en disant: "Si le politique existe dans l’oeuvre, on souhaite surtout que l’oeuvre agisse comme une prise de conscience, à travers un acte de liberté critique plutôt qu’une réaction à l’actualité."
Quant à savoir si le conservatisme réactionnaire a une influence sur leur pratique, les artistes se font prudents: "En fait, cela n’a une portée sur mes oeuvres que dans la mesure où je m’en sers pour provoquer encore plus!" commente Hélène Matte. Faisant aussi référence à un article polémique sur l’art contemporain paru il y a quelque temps dans nos pages, elle me confessait avoir "été très déçue que l’on ait fustigé avec véhémence un pan si vaste de notre terreau artistique". C’est aussi l’avis du duo Cooke-Sasseville, dont l’oeuvre présentée suscitera bien des scandales… Ces créateurs concluant d’ailleurs que lorsqu’ils entendent certains animateurs connus dire que les artistes sont gâtés ou profiteurs, ils sont "un peu fâchés, mais fâchés normal".
Bien que les préjugés existants envers l’art contemporain soient légion, cela n’empêche pas Sheila (une des deux soeurs Couture) de déplorer que souvent "le public ne se sente pas interpellé par les centres d’artistes. [Qu’]il passe devant mais n’entre pas, ayant l’impression qu’ils sont réservés à un milieu hermétique, à l’élite". Elle souligne aussi que "l’exposition présentée offre cette tentative de réconciliation avec le grand public. Le fait que l’art contemporain ait cette place au Musée permettra aux gens d’entrer plus facilement en contact avec les oeuvres. C’est ce qu’on souhaite vraiment du fond du coeur, parce que c’est à lui que l’on veut s’adresser".
Ne parler qu’aux seuls artistes serait trop critiquable. Nous avons donc posé au gardien de sécurité nous accompagnant les mêmes questions. Au Musée depuis peu, après 28 ans de service dans l’armée, "un milieu très différent et conservateur", il ne s’était jamais intéressé à l’art. Puis, sa franchise m’a désarmé: "Vous savez, j’aime beaucoup Riopelle, je trouve ça très beau même si je ne suis pas un connaisseur." Esquissant un sourire à la vue du motorisé renversé et transpercé de flèches exposé par BGL, il m’a avoué humblement ne pas tout comprendre. Par contre, quand je lui ai demandé ce qui avait pu arriver, sa réponse était toute teintée d’humour: "Quelqu’un a dû passer dans le village huron pendant la nuit et réveiller tout le monde. Eh bien, ils se sont vengés!" Il avait pourtant bien compris ce qu’est l’art contemporain: un appel à l’imagination.