Christian Marclay : Égratigner la surface
Christian Marclay, artiste new-yorkais, s’approprie disques et films de diverses époques afin d’en faire des matériaux très actuels. L’art au présent.
Je dois dire ma profonde sympathie pour l’attitude présente dans l’oeuvre de Christian Marclay. Elle fait écho à une approche irrévérencieuse, d’inspiration punk, pour laquelle j’ai une sensibilité particulière. Nous sommes dans une société bien trop bon ton où l’art occupe, la plupart du temps, une place réconfortante.
Dans son vidéo intitulé ironiquement Record Players (1984), vous verrez des gens égratignant des disques vinyles, les frottant et les tapant les uns sur les autres, pour finalement les casser et marcher dessus. Dans Fast Music (1982), Marclay dévore un disque en grosses bouchées… Dans son travail, il y a une attitude iconoclaste indispensable. C’est "une manière de réagir aux bombardements d’images et de sons de notre époque", de dire Marclay. Il a déjà expliqué que le disque avait une parenté avec la nécrophilie et en entrevue, à propos de cette expo intitulée Replay, traitant de musique et de cinéma, il va dans le même sens. "C’est moins évident avec le cinéma, mais c’est vrai pour les deux médiums. Je réagis à cette absurdité de vouloir retenir le temps qui passe. Il faut être dans le présent et lutter contre l’illusion de présent des images et des sons enregistrés".
Un des points les plus importants de cette exposition réside dans sa manière de s’approprier des extraits de films (ou des bandes sonores) en toute liberté et (il me le confirme) en ne payant pas les droits d’auteur. Marclay ne voit cependant pas (pour des raisons légales?) cet élément comme un des points centraux de son travail. "C’est un débat ennuyeux", laisse-t-il tomber. Néanmoins, il ajoute qu’"il ne s’agit pas de voler les idées des autres. Le droit d’auteur est bien quand il défend les artistes, mais quand Disney arrive à faire rallonger le copyright pour Mickey, c’est scandaleux. Ça va à l’encontre de la créativité. Dans la musique, le sampling est un travail intéressant qui puise dans la mémoire collective." Voilà un propos peu claironné dans le domaine de la musique.
UN MUSICIEN AVANT TOUT
Malgré toute la sympathie que j’ai donc pour son approche artistique (s’inspirant de Duchamp et Cage), il n’en reste pas moins que le propos de cette expo se maintient souvent à la surface des choses. Les oeuvres présentées semblent une suite de petits flashs, de petits trucs visuels. Un exemple: l’oeuvre Video Quartet (2002) qui utilise des extraits de films qui se font écho. Du point de vue sonore c’est captivant, mais du point de vue visuel (et du contenu), le spectateur reste sur sa faim. Les scènes de pianos (de violons ou d’harmonicas), tirées de divers films de diverses époques, riment ensemble d’une manière rythmée mais, au bout du compte, le spectateur se demande bien la signification de ces homonymies visuelles…
Il y a chez Marclay un héritage moderne (travail sur la forme) qui a été maintes fois répété et qui chez lui n’arrive pas toujours à nous convaincre de son pouvoir de déconstruction. Il faut voir l’oeuvre de Candice Breitz et ses collages d’extraits de films (traitant, par exemple, des rapports mère-fille ou père-fils dans le cinéma hollywoodien) pour réaliser comment ce travail de sampling visuel et sonore peut être producteur de sens. Parfois Marclay tente de donner un contenu plus profond à son travail, mais cela semble forcé. C’est le cas dans Guitar Drag, présenté comme un "renvoi au lynchage de James Byrd Jr", homme qui fut, comme la guitare dans ce vidéo, traîné attaché à un camion… Mais la comparaison semble presque de mauvais goût.
Un des moments les plus forts reste donc la "Salle d’écoute" où s’entend le formidable talent de Marclay en tant que DJ expérimental et platiniste (DJ manipulateur de vinyles).
Soulignons comment l’espace de la Fondation DHC est incongru. Installées dans des coins, certaines pièces de Marclay sont impossibles à voir dès qu’il y a plus de trois visiteurs.
À voir si vous aimez /
L’expo Sympathy for The Devil au MAC