Wim Delvoye : Merde alors!
Wim Delvoye: un artiste contestataire comme on en rencontre peu de nos jours. Entrevue avec celui qui emmerde le bon goût, la société de consommation et le marché de l’art.
Tout est vanité! Il faut ruiner toute forme de prétention. C’était le propos de Thomas Bernhard dans son roman Maîtres anciens. Son personnage de Reger cherche des défauts dans les oeuvres du passé et s’attaque à toute forme d’idolâtrie, en particulier celle exercée envers les artistes. C’est aussi la leçon présente dans l’art du Belge Wim Delvoye et dans Cloaca N° 5, sa machine que l’on nourrit et qui chie des excréments presque humains. Cette créatrice de merde est l’équivalent des vanités, ces tableaux qui faisaient prendre conscience aux spectateurs de la futilité des biens de ce monde. Nous sommes dans un univers de prétention où il faut déconstruire ses désirs de paraître.
On raconte qu’un empereur romain se réveillait tous les matins en se faisant rappeler qu’il était mortel… Voilà ce que bien des politiciens devraient se dire de nos jours. Delvoye nous rappelle que nous sommes humains, êtres de chair qui mangent et défèquent. Une oeuvre philosophique.
DIGERER LE MONDE OU ETRE DIGERE PAR LUI
Wim Delvoye: "Il faut démystifier l’idée romantique de l’Art avec un grand A, l’art comme un remplacement de la religion."
Voir: Vous êtes un iconoclaste?
"Comme avec tout ce que je fais, c’est dans un rapport double. Les Flamands sont des collaborateurs qui survivent à toutes les occupations…"
Vous êtes plutôt un résistant, qui s’attaque à la merde ambiante, aux compagnies comme Walt Disney, Coca-Cola, Chanel, Vuitton (qui vous a menacé de poursuite), dont vous copiez les logos pour annoncer vos oeuvres.
"Oui, mais comme un virus qui attaque par en dedans. Ma stratégie est la suivante: on peut casser davantage de porcelaines quand on est dans le magasin. Il faut être efficace, il faut s’infiltrer. Bien sûr, cela donne une situation double. On est dans le système et on résiste. La merde est la garantie que tu ne vas pas vraiment réussir, que tu vas rester dans la résistance."
C’est la différence entre vous et Jeff Koons qui s’est infiltré lui aussi, mais qui s’est lui-même fait infiltrer par le système capitaliste?
"C’est vrai, lui et Hirst n’ont pas longtemps questionné leur position. Avant septembre 2008 [quand le marché de l’art a piqué du nez], ma stratégie semblait idiote. Avant, ils avaient raison. Tout le monde, même les gens idéalistes, a été influencé par le marché. J’ai presque eu peur, mais je me suis dit que le pendule irait un jour dans l’autre sens. Je ne croyais pas que cela irait aussi vite. Certes, j’ai aussi participé au système, quoique je n’aie vendu aucune des machines Cloaca. De grands capitalistes ont trouvé des signes pour jouer entre eux et pousser les prix. Maintenant, ils sont un peu punis."
D’autres projets comme Cloaca?
"Nous voulons construire une machine qui fume des cigarettes."
Vous auriez le droit de placer une telle machine dans un musée?
"On ferait ce projet uniquement pour un musée américain [rires]. Il faut jouer avec le pouvoir, arriver à une position où l’oeuvre pose problème avant même le vernissage."
À voir si vous aimez /
Les Virus de Survie de Mathieu Beauséjour