Ingres et les modernes : Un sphinx trônant dans l’azur
Le MNBAQ vient livrer à nos pieds, modestement, une offrande impériale attendue depuis très longtemps. Un présent qui appelle impérativement notre présence: Ingres et les modernes.
Le génie, c’est tordre le réel pour le contraindre à la pensée. En peinture, c’est choisir l’éternité des géométries antiques, obliger l’oeil à suivre une seule ligne idéale là où il aurait pu y en avoir mille, avoir l’audace d’apposer une couleur pure là où tout ne voudrait être que confusion, reflets et apparences: créer et imposer une nouvelle sensibilité au monde, la sienne, sans appel. Rappelant les légendaires Apelle de Cos et Raphaël, il y a Ingres, mythique, fidèle à ce principe hérité des grands maîtres. C’est aussi ce avec quoi il réussit à "signer" son influence dans la postérité et l’oeuvre d’autres artistes tout aussi importants dits "modernes" (Picasso, Duchamp, Picabia), contemporains et actuels (Raysse, Rauschenberg, Sherman, Hockney), qui ont repris à leur tour cet artifice fantastique de la création visant à renverser l’univers d’un seul trait et à en relever l’horizon du bout des doigts.
À leur suite, le Musée national des beaux-arts du Québec nous fera voir ces liens dans une petite exposition mais qui, cette fois, aura avantageusement misé sur la qualité supérieure de plusieurs morceaux. Avec un accrochage transparent, efficace, pour un choix d’oeuvres méticuleux, la scénographie nous donnera à réfléchir sur de nombreuses techniques, et à les comparer surtout, pour mieux saisir les préoccupations esthétiques de chaque époque. Ajoutons à cela un catalogue profusément illustré, bien construit et avec des textes d’une subtilité "ingresque", si l’on peut dire. Sinon quoi? Une fois l’exposition libérée de l’anecdote, reste une grande loi: l’art face à l’art et les oeuvres qui, ensemble, dialoguent et évoluent.
Prenez pour exemple le caractère révolutionnaire du portrait inachevé (?) de l’architecte Desdéban: de la peinture partout, une touche d’une "modernité" saisissante, faite de grands pans brossés, texturés, disloquant l’espace peint et annonçant une certaine abstraction qui mettra un siècle avant d’exploser par le relais des Manet, Cézanne, Gauguin, jusqu’à Picasso… Aussi, le Bain turc avec sa suite de croquis incisés, beaux, complexes. Confrontez-les avec quelques autres pièces majeures, dont le fameux pastiche-hommage de Man Ray (en tirage récent cependant). L’exercice sera parfois ardu pour ceux qui n’y sont pas habitués, mais bien enrichissant. De quoi aussi s’enfiévrer d’émotions emmêlées, érotiques, absurdes, passionnées et, qui sait, provoquer ce "choc esthétique" que tous recherchent.
Une suggestion pour le futur de cette exposition itinérante. Sans forcer, pourrait-on ajouter une oeuvre québécoise qui s’ajusterait à la sélection pour mettre en lumière l’originalité d’ici? Imaginez, Hélène Matte pourrait reprendre cet été à Montauban sa dernière performance présentée au MNBAQ juste devant La Source? Trop audacieux comme rapprochement? Et si on osait…
À voir si vous aimez /
Antoine Plamondon, Baudelaire, Les Demoiselles d’Avignon