Silvia Kolbowski : Lost in translation
Silvia Kolbowski interroge le travail d’artistes conceptuels comme Vito Acconci, mais aussi celui de l’écrivaine Marguerite Duras et du cinéaste Alain Resnais. Un art de l’expérience.
Dans ses deux installations vidéo et sonores présentées ces jours-ci à la Galerie Leonard & Bina Ellen, Silvia Kolbowski, artiste états-unienne née à Buenos Aires en 1953, traite des écarts entre représentation et réalité. Nous connaissons tous ce débat: une image peut-elle faire vraiment revivre, et donc ressentir, ce qu’est l’expérience du réel? Du coup, c’est tout le monde de la muséologie conventionnelle qu’elle interpelle.
Dans An Inadequate History of Conceptual Art, Kolbowski nous fait entendre des voix d’artistes (dont celles de Vito Acconci, Hans Haacke, Louise Lawler, Jonas Mekas, Lawrence Weiner) racontant leurs expériences en tant que spectateurs d’oeuvres conceptuelles présentées entre 1965 et 1975. Elle ne nous montre pas des photos, documents ou même objets liés à ces oeuvres. Elle tourne son regard (et son micro) vers l’impact que ces créations, souvent troublantes, ont eu à long terme sur des individus. Elle poursuit la révolution qu’a été l’art conceptuel vers la structure même de l’histoire, de l’histoire de l’art et de la muséologie. Comment exposer, raconter, expliquer, faire revivre cette aventure de l’art conceptuel au moment où l’art contemporain renoue avec cette forme de création? Elle passe donc d’une exposition de documents d’époque à une exposition sur l’affect à long terme de ces oeuvres. Finis l’objet, les archives et même, d’une certaine manière, l’oeuvre.
Kolbowski souligne au passage comment le document peut tromper. Elle a profité de l’enregistrement de ces confidences pour filmer, comme on le fait souvent dans les documentaires, les mains de ses interlocuteurs. Mise en scène (ironique) sur la trahison par le document d’un art qui a dévalué le faire manuel de l’artiste au profit de l’idée. Elle ridiculise la manière habituelle de faire. De plus, elle présente ce bout de film dans une salle adjacente, décalé par rapport à l’enregistrement sonore. On se rend vite compte qu’il n’y a pas de concordance entre le son et l’image ainsi exhibés. Un travail qui montre le pouvoir du montage. L’artiste souligne comment l’exposition est aussi montage, collage d’éléments qui semblent vrais.
Dans sa seconde pièce présentée, le dispositif est de même nature. Dans un des éléments de cette installation intitulée After Hiroshima Mon Amour, dix acteurs rejouent, s’approprient des moments du célèbre film de Resnais et Duras. Ici aussi, Kolbowski souligne comment il est difficile de s’en tenir à la vérité. Les êtres trahissent en se trompant. Comme avec Duras et Resnais, il y a des interférences dues aux différences culturelles, aux langues utilisées. Le montage, avec ses décalages de synchronisation, vient amplifier ce sentiment.
Cette oeuvre pourra sembler moins efficace que la première. Ces citations, appropriations, copies, reprises, décontextualisation, recontextualisation et autres procédés postmodernes sont un peu lassants.
À voir si vous aimez /
Thérèse Mastroiacovo et Daniel Olson