Yoko Ono : La paix soit avec nous
Yoko Ono était de passage à Montréal pour l’ouverture, le 31 mars, de l’exposition Imagine. La ballade pour la paix de John & Yoko. Voir a obtenu l’une des rares entrevues accordées à cette occasion. Entretien avec – l’expression n’existerait pas qu’on l’inventerait pour elle – une légende vivante.
Quarante ans ont passé mais le message est intact. Et toujours nécessaire. Depuis que Yoko Ono et John Lennon ont fait de la chambre 1742 de l’hôtel Reine Elizabeth, du 26 mai au 2 juin 1969, la chambre d’hôtel la plus célèbre du monde, la violence a parfois reculé, parfois gagné du terrain, et il n’est certainement pas vain, en 2009, de scander de nouveau "Give peace a chance".
À ce titre, l’exposition Imagine. La ballade pour la paix de John & Yoko est loin de se limiter à un album-souvenir consacré à leur hyper-médiatisé bed-in. On y trouve bien sûr de très nombreux artefacts, la guitare qui a servi à l’enregistrement, dans la chambre même comme on le sait, de leur plus grande "chanson-slogan", des dessins réalisés durant cette action pour la paix et une multitude de photos, mais on y ressent d’abord un esprit, un espoir qui se conjugue au présent. "Il est important de rappeler aux gens que nous devons, que nous pouvons faire quelque chose pour la paix. Et que chacun peut le faire à sa façon, de manière créative. Nous avons eu la nôtre, chacun peut avoir la sienne…" dit Yoko Ono de sa voix menue, presque chuchotée mais non moins insistante.
Derrière cette présentation multi-sensorielle, il y a l’énorme travail accompli par la commissaire invitée Emma Lavigne et Thierry Planelle, son "commissaire sonore", qui ont demandé, et obtenu, la proche collaboration de Yoko Ono. "J’ai été très émue de recevoir cette proposition, assure-t-elle. Il y a bien peu de grands musées qui soient prêts, comme le Musée des beaux-arts de Montréal, à dédier une exposition entière à la paix et à l’amour. À travers tout ça, il y a notre travail, à John et moi, mais le sujet premier ce n’est pas nous, c’est la paix, et je considère que le MBA a fait preuve de courage en programmant cet événement."
On pourra répondre qu’il s’agit d’un courage relatif, les figures centrales du projet n’étant pas exactement impopulaires, mais il est vrai que cette exposition dont l’entrée est en tout temps gratuite ne sent aucunement l’exploitation de figures mythiques. "Étant convaincue du réel engagement des partenaires, j’ai voulu coopérer le plus possible", ajoute Yoko Ono, qui n’a pas la réputation d’accepter tout en bloc. "Emma et Thierry ont d’abord fait un incroyable travail de recherche, de leur côté, puis ont établi un projet qu’ils sont venus me présenter. J’ai donné mon avis, quelques suggestions sur les liens à faire et tout, évidemment, mais c’est tout. Je vous le jure!" conclut-elle en riant.
ENTRER EN RELATION
Si le message est central, voilà aussi une belle occasion de revenir sur tout le travail à quatre mains réalisé par les deux artistes, qui se sont profondément influencés l’un l’autre. "Nous avions beaucoup de chance, John et moi, parce que nous étions à la fois des musiciens et des créateurs visuels. Nous avons vite compris l’intérêt de combiner tout ça pour articuler notre propos. J’ajoute que nous étions tous les deux parfaitement workaholics! Quand une idée nous animait, nous n’en démordions pas, nous allions jusqu’au bout."
Dans le travail de Yoko, l’aspect relationnel a toujours été capital. Plusieurs oeuvres sont nées de sa complicité avec John, et le spectateur participe le temps venu, il a entre les mains une part de leur portée symbolique. La ballade pour la paix de John & Yoko y fait écho, avec entre autres la possibilité pour le visiteur de flâner à son tour dans un grand lit, de jouer la partition d’Imagine sur un piano à queue blanc ou de parler au téléphone, une fois par jour à une heure indéterminée, avec Yoko Ono elle-même.
Pas question de muséifier la démarche artistique, donc. Une préoccupation criante chez plusieurs, à l’époque où le rock’n’roll, qui s’est développé en réaction aux institutions, fait son entrée dans les musées et pas les moindres. "C’est une période excitante, où un certain type d’art est enfin valorisé, mais on doit s’assurer que la pratique demeure vivante, que l’art appartienne d’abord aux gens", dit cette éternelle optimiste qui, à 76 ans, paraît tournée vers son futur bien davantage que vers son passé, aussi flamboyant soit-il.
UNE BALLADE POUR LA PAIX
Parcourir cette expo, c’est un peu comme entrer chez John et Yoko par un jour de musique et d’écriture. Un peu comme s’asseoir quelques minutes au bord de ce lit qui a accueilli leur fameux bed-in.
La visite comporte huit stations, qui représentent des périodes-clés dans l’évolution du tandem. Succession d’espaces aménagés à grand renfort de photos, vidéos, pochettes de disques et instruments de musique par la commissaire Emma Lavigne, conservatrice au Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, à Paris, et Thierry Planelle, directeur de la création image et son chez Virgin France et véritable illustrateur sonore d’une expo où la musique joue l’un des rôles principaux. Il y a les chansons, oui, Give Peace a Chance, Imagine et d’autres, mais aussi des mots échangés entre les deux amoureux, provenant des rubans de sessions de travail. Des appels à travers l’espace et le temps qui nous les rendent infiniment présents.
Après Warhol Live, le MBA poursuit son exploration des rapports entre musique et arts plastiques. S’y greffe, en l’occurrence, l’indéniable portée politique d’un discours soucieux d’accorder le rêve à la réalité. À noter: Imagine. La ballade pour la paix de John & Yoko est une expo tout à fait gratuite (il n’était pas question de faire du "peace business", selon Nathalie Bondil, directrice du MBA) et ne se limite pas au périmètre du musée puisqu’elle est accompagnée d’une campagne d’affichage dans la lignée de celle lancée par le couple en 1969, et de la diffusion, sur les écrans des voitures du métro montréalais, d’un message de paix signé Yoko.
YOKO ONO, TETE CHERCHEUSE
Née en 1933 dans une famille de banquiers tokyoïtes, Yoko Ono fait montre dès l’adolescence d’une attirance pour l’art d’avant-garde. Sa famille s’étant établie à New York après la guerre, elle y étudie entre autres la musique expérimentale auprès de John Cage et crée, dès la fin des années 50, ses premières oeuvres performatives.
En 1964, en pleine période pop art, elle fait parler d’elle en imaginant le bagism, qui consiste à s’enfermer dans un sac avec un partenaire, et publie Grapefruit, un recueil de poèmes dans lequel figure déjà l’essence de sa démarche. S’y trouve, par exemple, cette phrase désormais célèbre: "A dream you dream alone is only a dream, a dream you dream together is reality".
C’est en adhérant au mouvement Fluxus, qui s’est développé autour de George Maciunas, que Yoko Ono acquiert une réelle reconnaissance. L’aspect interactif prend de plus en plus de place dans sa création, provoquant parfois la controverse, comme ce fut le cas avec la performance Cut Piece, en 1965, durant laquelle des membres du public étaient invités à venir découper, à tour de rôle et jusqu’à ce qu’il n’en reste rien, un bout de ses vêtements.
La suite est plus connue. En novembre 1966, Yoko Ono fait la connaissance à Londres de John Lennon. Débute l’une des histoires d’amour les plus médiatisées du 20e siècle, ce dont John et Yoko sauront d’ailleurs profiter pour faire entendre leurs préoccupations sociales et politiques.
Le 6 juin prochain, Yoko Ono recevra à la Biennale de Venise un Lion d’or soulignant la richesse de son parcours artistique.