Michèle Drouin : La fin des secrets
Michèle Drouin ne fait aucune cachotterie. Ce qui se retrouve dans ses toiles ne peut être enlevé. Entretien avec cette passionnée des couleurs qui expose son parcours au Musée des beaux-arts de Sherbrooke.
Il est surprenant de lire dans une bio de Michèle Drouin, peintre aguerrie au style caractérisé par de merveilleux contrastes visuels, qu’elle fut influencée dans les années 50 par Jean Paul Lemieux. "C’est un petit peu exagéré, précise-t-elle. J’étais dans le milieu des artistes de Québec et j’ai participé à des classes libres avec lui, mais à cette époque, il n’avait pas encore fait ses Ursulines."
Ainsi, alors que Lemieux transitait tranquillement vers le figuratif, Drouin emprunta une direction opposée. "Je travaillais au couteau, avec des couleurs sombres, atmosphériques. Puis, j’ai basculé, j’ai tout fait sauter. Je me suis développée, ouverte." C’est au contact de la poésie des surréalistes qu’un premier déclic s’est fait. "Pour moi, ça a fait pow! Et je me suis mise à écrire."
Pendant quelques années, la poésie a occupé une grande place dans les rites de création de l’artiste. "Aujourd’hui, le texte ne se retrouve que dans mes titres. C’est le verbal de ce qu’il y a dans le tableau."
Mais ne soyons pas dupes: Michèle Drouin demeure poète, mais les images ne sont plus écrites, elles prennent forme sur la toile. "Tout ça vient d’une seule et même source. Moi, j’intériorise tout. Je ne suis pas une visuelle. Ce n’est pas la mémoire qui fonctionne. C’est beaucoup plus des flots d’énergie. Ça entre par la peau."
LES SURPRISES DU MATIN
Dans les années 70, Michèle Drouin a fait la révolution féministe à sa manière. "C’était l’époque des plasticiens. Je travaillais seulement avec les courbes, couche sur couche, sans masking tape… Je faisais tout." Malgré qu’elle avait une façon bien personnelle d’aborder le mouvement hard edge, un changement plus draconien s’imposait. "Je me sentais bloquée dans mes élans. C’était une longue exécution. La lourdeur du processus me dérangeait."
C’est lors d’un atelier au Triangle Artist’s Studio dans l’État de New York que le virage s’est fait. "On peignait dans une grange. On allait à la quincaillerie pour se trouver de l’outillage. J’ai commencé à travailler avec des balais, des brosses, des vadrouilles… Depuis ce temps, j’ai une passion pour les quincailleries." C’est là que Drouin a commencé à peindre installée sur le sol. "Je travaille sur toile mouillée, imbibée. Il ne faut pas que ça sèche. C’est fait d’une traite. Je ne peux pas revenir sur un tableau."
Elle poursuit: "Le matin, mon plaisir est de monter à mon atelier et de voir comment la couleur a travaillé. Il y a toujours des surprises." Parfois, de petites fractales se forment ici et là sur la toile; c’est le fruit du labeur de l’acrylique. "Ce qui est là ne peut pas être enlevé, ne peut pas être caché", indique Michèle Drouin. La peinture est aussi un art dans la façon de savoir lâcher prise.
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