Armand Vaillancourt : Vaillant guerrier
Arts visuels

Armand Vaillancourt : Vaillant guerrier

Armand Vaillancourt? Un sculpteur, un peintre, oui, mais aussi un défenseur de la justice sociale, de la solidarité humaine, de l’indépendance québécoise…

Qui l’aurait cru? Celui qui s’est fait expulser de l’École des beaux-arts de Montréal au début des années 50 pour avoir osé faire de l’art dans la rue est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants sculpteurs en Amérique du Nord. Armand Vaillancourt, à l’honneur dans une rétrospective à la Galerie Montcalm (sa dernière exposition solo dans la région remonterait à 1967!), n’a jamais eu peur d’exprimer ses opinions sur quoi que ce soit, et ce, même à travers sa pratique artistique.

Pensons d’abord à sa fontaine à San Francisco… "Les gens qui me l’ont commandée ont toujours voulu la détruire, affirme-t-il. Ils essayaient toujours de changer des choses dans ma fontaine… Moi, j’ai résisté comme l’enfer pour garder ma pièce intégrale. Des mois après l’inauguration, j’étais parti me reposer avec un ami… Quand je suis revenu, un gros bulldozer avait tout détruit mon atelier là-bas. J’avais tout perdu ce que j’avais ramassé en quatre ans et quelques mois. Et je n’ai jamais appelé la Ville pour me plaindre." Évidemment, il avait inscrit sur son monument, lors de son dévoilement en 1971, un percutant Québec libre! en lettres rouges, et n’avait pas hésité à dénoncer la guerre du Vietnam, le président Nixon, "et toute la merde autour de ça…"

Batailleur

Le guerrier qui a fait de son "je" un "nous" poursuit-il sa bataille aujourd’hui? "Bien sûr! Toute ma vie, j’ai combattu! Je ne me suis pas assagi; en fait, plus je vieillis, plus je deviens radical. Par la force des choses, j’ai oublié mon "je", l’ego trop fort que tous les êtres humains possèdent… Les artistes ne sont pas exempts de ça non plus, n’est-ce pas?"

Lorsqu’on lui demande ce que signifie, pour lui, être artiste, le visionnaire répond: "Je me considère plutôt comme un être humain qui a peut-être des capacités à s’exprimer dans des domaines plus que dans d’autres… et ça ne me rend pas unique au monde. Parce que je pars du principe, et je ne suis pas le seul à le penser, que tous les êtres sont créateurs."

Il renchérit: "Les gens m’identifient à la peinture et à la sculpture, mais mon rôle d’artiste, il est plus étendu que ça. Ma guerre, je la fais à plusieurs niveaux."

Défenseur

Armand Vaillancourt considère la solidarité essentielle pour effacer la bêtise humaine, et juge que malgré l’évolution de l’homme (il n’est surtout pas créationniste!), l’être humain est trop lent à "devenir respectueux de son semblable." "On vit dans l’un des plus grands systèmes capitalistes au monde… On ne peut pas se traiter de purs et nets sur toute la surface. Il y aurait beaucoup de choses à faire pour améliorer notre situation, mais il faut en être conscients et changer nos façons de gérer notre vie, surtout nos dépenses. Il y a une culture de l’excès en Amérique, on jette, on jette, on jette… Je pourrais le dire jusqu’à la mort que je n’aurais pas dit assez vrai encore."

Quand vient le temps de nommer la cause qui lui tient le plus à coeur, l’homme qui soufflera 80 bougies en septembre hésite: "La droiture, les droits de l’homme, des femmes, la cause des enfants aussi… Mais il y a de l’espoir, avec des gens qui ont une conscience plus universelle, comme le président Obama." Il juge toutefois que les démocrates ne sont pas sans reproches, et qu’il y a beaucoup de "tirage de ficelles" au Capitole.

"Il y a des lâchetés dans les gouvernements, et l’argent ne va pas au bon endroit. D’ailleurs, on dépense beaucoup pour l’armement. C’est la grande tragédie humaine… Le commerce mondial le plus fort, actuellement, c’est l’armement. Et puis c’est la drogue, et après la prostitution."

Pragmatique

"Mais je pense que l’humanité mérite de vivre, précise-t-il avec conviction, comme pour arroser son discours d’une note d’espoir. Je ne veux pas être pessimiste, mais quand je parle de façon si négative, je suis réaliste."

Surtout, ne vous imaginez pas que l’intarissable créateur détient toute la vérité. "Je suis quelqu’un qui peut se tromper, qui peut s’enfarger aussi… Faut pas le prendre à la lettre, le p’tit Vaillancourt…" avait-il précisé avant même que ne commence l’entrevue.

Malgré toutes les oeuvres du grand Armand disparues en cours de route (difficile de les dénombrer), l’exposition Sculpture de masse permettra certainement de témoigner de la diversité et de la force créative de ce fougueux combattant.

À voir si vous aimez / La conférence de l’artiste le 5 juillet à la Maison du citoyen, Guy Sioui Durand, Yves Trudeau

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ENFIN CÉLÉBRÉ

L’exposition Sculpture de masse, présentée à la Galerie Montcalm jusqu’au 16 août prochain, dévoile avec rigueur l’univers hétéroclite d’Armand Vaillancourt. Avec un parcours où se dispersent des sculptures travaillées dans une variété de matériaux (bois, acier, bronze, carton, caoutchouc et plus encore), des travaux issus d’une production bidimensionnelle ainsi que des photographies documentant ses pièces monumentales, dont la fameuse fontaine, le visiteur ne pourrait demander mieux. L’étendue et l’originalité de l’oeuvre du créateur sont palpables à travers une rétrospective qui lui rend un hommage plus que mérité. À remarquer parmi les réalisations dans la salle: le contraste d’échelle frappant entre, par exemple, la porte de bois brûlé (immanquable!) et sa pièce Arche de triomphe, de 1968.