Camouflage : Cachez-moi ce motif!
Le Musée canadien de la guerre présente Camouflage, une exposition qui propose un tête-à-tête inattendu entre le militaire et la haute couture…
Créée par l’Imperial War Museum et adaptée par le Musée canadien de la guerre (MCG) pour sa présentation nord-américaine exclusive, l’exposition Camouflage retrace l’histoire de la technique militaire du camouflage, en tissant les liens entre art, science et culture populaire.
À l’origine une tactique cruciale servant à dissimuler armes, positions et combattants lors de la Première Guerre mondiale, le camouflage a connu maintes manipulations au cours du dernier siècle pour devenir les motifs numérisés de la culture populaire d’aujourd’hui. L’exposition retrace, avec des artéfacts plutôt conventionnels (équipement militaire, maquettes de navires, oeuvres de peintres de guerre) et d’autres plus inusités (paramannequins, dummy tanks, faux arbre d’observation, bikini de Christian Dior), les différents visages du camouflage au fil du temps.
Depuis les premières tentatives "faites main" des peintres français (Eugène Corbin en tête) sur les uniformes et casques qui renvoyaient étonnamment au cubisme, jusqu’à la peinture "éblouissante" sur les navires de guerre qualifiés de "musées d’art flottants", conçue par l’artiste britannique Norman Wilkinson, en passant par les fausses têtes en papier mâché du sculpteur Henri Bouchard – des leurres pour tromper l’ennemi sur le front -, il s’avère fascinant de constater de quelle manière l’artiste a joué un rôle clé dans le développement de cet outil de dissimulation, de déformation, de tromperie ou de déguisement.
La portée symbolique du camouflage prend toute son ampleur dans le captivant volet Promouvoir de l’exposition, alors que le motif des uniformes militaires devient, dans les années 60, un symbole de protestation contre la guerre du Vietnam – les activistes se procurant leurs articles dans les surplus d’armée. Plus tard porté dans la rue pour s’affirmer contre l’establishment et la mode – en témoigne un pantalon camouflage porté par le punk-rocker Joe Strummer (The Clash) lors de la tournée Combat Rock –, le camouflage inspirera également d’éminents créateurs tels Andy Warhol (une série de planches à roulettes d’Hardy Blechman et un escarpin de Philip Treacy reprennent son motif), l’artiste italien Alighiero e Boetti et les designers réputés Jean Paul Gaultier, Christian Dior, Maharishi et Yves Saint Laurent (pièces de collection prêtées).
Philip Treacy pour Gina Couture, 2003. Matériel inspiré par la série C Camouflage d’Andy Warhol, Andy Warhol Foundation. photo: SMCC M.-L. Deruaz. Prêt de Philip Treacy |
Pour clore le parcours coloré, instructif et interactif, le MCG propose une sélection impressionnante d’articles de tous les jours achetés ici et là qui fait montre de la commercialisation monstre de l’imprimé militaire – le modèle américain Woodland étant le plus récurrent: vêtements pour bébé, papier hygiénique, mitaines de four, peluche de chien, service de vaisselle de Jean-Charles de Castelbajac, tutu de princesse, canards de bain, produits cosmétiques…
Si certains le portent aujourd’hui encore en signe d’anticonformisme ou de désillusion (pensons au mouvement hip-hop), force est de constater que le motif s’est répandu pour devenir un outil commercial de masse. En choisissant l’angle du camouflage comme thématique plutôt que de l’aborder chronologiquement ou historiquement, le MCG met en relief un contraste étonnant: ce qui a un jour servi aux combattants de stratégie pour tuer ou sauver leur peau est aujourd’hui employé comme moyen d’expression à toutes les sauces. Sans alourdir inutilement le contenu historique et militaire du camouflage (ces volets sont vivants et intelligibles), le parti pris de l’exposition se veut ouvert d’esprit et parfois même ludique (voir la liste d’activités), permettant à chacun d’aborder le fameux imprimé comme bon lui semble. Rose bonbon, bonsaï ou zébré?
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