Charles Daudelin : Le songe de Daudelin
Arts visuels

Charles Daudelin : Le songe de Daudelin

Dans la théogonie des artistes québécois, Charles Daudelin fait figure d’exception. Et pour cela, le temple des muses consacre un sanctuaire en son honneur, une salle vouée à son oeuvre.

On a déjà qualifié Daudelin de "bricoleur" ou d’"incorrigible butineur", expressions un peu malheureuses au regard des nombreux artistes d’avant-garde qui, tout comme lui, ont eu des pratiques plurielles. Ces étiquettes iraient tout aussi mal à Calder, Léger ou Pellan, qui arborent pourtant sans reproche l’attitude des caractères créatifs débordants, qui ne pouvant se limiter à un seul moyen d’expression artistique varient leurs matériaux.

En liant plutôt les oeuvres des beaux-arts (peinture, dessin, sculpture) aux objets d’art ou de design (affiche, lampe, tapisserie, marionnette), on trouvera plus souvent une cohérence formelle pour un artiste ou une époque donnée: une esthétique. La salle ouverte depuis aujourd’hui au Musée national des beaux-arts du Québec en est le plus bel exemple. On y explore l’imaginaire du démiurge dans une disposition permettant d’embrasser son oeuvre entière d’un seul regard pour saisir l’évolution des formes qu’il utilise, l’art vivant et son processus: cubes ou cristaux de pyrite, amandes ou ogives. C’est ce qui fait toute l’intelligence d’une présentation aussi limpide et fait aussi sa faiblesse… Car le paradoxe est insoluble: comment montrer les oeuvres pour qu’elles s’enluminent mais ne se nuisent pas les unes aux autres en "s’entre-tuant à coups de lignes et de couleurs*"? Un mal évité soulève parfois d’autres tourments.

Cela dit, le besoin d’espaces neufs pour le MNBAQ n’a jamais été aussi criant qu’en ce moment. Il a fallu sacrifier les salles Lemieux, puis Pellan, au profit d’un autre artiste de talent. Puisque ces créateurs méritent tous qu’on leur offre le même privilège, on évite le sacrilège. Or, serait-ce que la permanence des "salles permanentes" l’est de moins en moins? Heureusement, nous aurons au moins trois ans pour nous dépatouiller avec ces questions lexicales.

Pour cette exposition, le problème d’espace et le désir de sobriété sont trahis par la conception qu’ils obligent. Ainsi, les magnifiques sculptures et maquettes sont présentées en enfilade sur un long "tréteau" qui semble parfois un peu haut (jeunes visiteurs, notez) et il est impossible de faire le tour des oeuvres tridimensionnelles d’un trait. Mais c’est surtout le mur ocre placé derrière qui est un peu gênant: noires ou métalliques, les pièces s’y profilent ou le réfléchissent trop crûment peut-être. De même, présenter les natures mortes sur ce jaune produit une vibration très dure qui heurte les couleurs pures dans ces tableaux (le rose semblera presque orangé).

Cet été, poursuivez cette superbe expérience lorsque vous irez à la fontaine devant la gare du Palais. Allez saluer encore l’infatigable volcan nommé Daudelin; allez rendre hommage à l’Héphaïstos stoïque, qui poursuit sa forge de jour comme de nuit, à même l’airain bouillant, rugissant du coeur de la terre.

*extrait du Manifeste du futurisme, Marinetti, 1909

À voir si vous aimez/
Louis Archambault, Yves Trudeau, Robert Roussil