Michal Rovner : D’où venons-nous? Où allons-nous?
Michal Rovner, artiste née à Tel Aviv mais vivant à New York, parle d’histoire, de mémoire, de déshumanisation, du devenir de l’Humanité…
Je pourrais résumer l’oeuvre de Rovner en utilisant le titre d’un célèbre tableau de Paul Gauguin: D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? Deux exemples pour illustrer mon propos.
Dans une des salles de cette expo intitulée Particules de réalité, vous verrez des fragments de pierres. En apparence anciennes, installées comme dans un musée d’archéologie, certaines d’entre elles sont placées dans des vitrines hermétiques mais sont en fait de faux artefacts. Sur ces pierres, des formes d’écriture ou de dessins semblant rupestres. En fait, ces formes ne sont pas inscrites dans la pierre depuis des siècles, mais sont plutôt des projections vidéo très actuelles, faites sur leur surface. Lorsqu’on les regarde plus attentivement, on s’aperçoit qu’elles bougent légèrement, animées par une force mystérieuse… Surgissent alors des questions: l’histoire est-elle aussi morte qu’on pourrait le croire? Jusqu’à quel point est-elle présente dans notre monde contemporain? Projetons-nous sur les restes du passé des façons de penser bien actuelles? Voilà des questions peu innocentes, lorsqu’on sait que Rovner est née en Israël, région du monde où l’histoire est à la fois un patrimoine précieux et un boulet, venant teinter toutes les actions des vivants. Pourrait-on voir dans le travail de l’artiste une critique de la récupération de l’histoire et des restes archéologiques par les religions? Peut-être.
Dans une autre salle, vous verrez sur tous les murs une multitude de petites figures humaines, ombres anonymes, défiler, sans début ni fin, en une très longue et étouffante procession. S’agit-il de parler du long déroulement des générations? Où va l’être humain? Quel est son destin? S’agit-il aussi d’un symbole de la longue marche des Juifs dans le désert après leur fuite d’Égypte et par la suite à travers le monde? Peut-être.
Cette création pose des questions importantes, mais suscite aussi la perplexité. Rovner place parfois le spectateur dans une situation ambiguë. Le titre de son intervention à la Biennale de Venise en 2003, Against Order? Against Disorder?, en est un bon exemple. Rovner ne souhaite pas trancher pour nous des questions profondes sur l’histoire (et sur l’ambiguïté de son héritage). De faire de l’art une question embêtante (plutôt qu’une réponse réconfortante) me semble souvent une prise de position (moderne) très pertinente. Mais placer le spectateur dans une situation où le sens de l’oeuvre semble ambigu est une posture (très postmoderne héritée de Warhol) qui laisse souvent dans l’embarras. Cela d’autant plus que l’artiste est restée très évasive quant au sens de ses pièces lors de la conférence de presse… J’ai été de longs moments devant certaines d’entre elles et en particulier devant un écran vidéo montrant une multitude de croix tournoyantes. Intitulée Mazleva (ce qui pourrait se traduire de l’hébreu par "fabrication de la croix"), cette oeuvre nous parle-t-elle de ce désir de plusieurs églises de posséder la vraie croix? Qui sait?
Il s’agit d’une oeuvre souvent intelligente mais qui n’est pas exempte de quelques maniérismes, répétitions de formes et trucs visuels frôlant la formule. Presque toutes les pièces sont intrigantes visuellement, mais elles ne sont pas nécessairement toutes aussi fortes du point de vue du contenu.
À voir si vous aimez /
Tony Oursler