Séquence : Une fin sans histoire
C’est le monde à l’envers au centre d’art contemporain Séquence, alors que les films présentés sont sans histoire et que les spectateurs deviennent, malgré eux, des scénaristes indispensables…
C’est un personnage sans histoire, un homme qui dort. Et c’est à la fois toutes les images qui frappent au portillon de son subconscient… Des fictions défilées auxquelles il faut redonner du sens a posteriori… Comme au petit matin lorsque, à peine éveillé, on tente de remettre de l’ordre dans ces rêves qui ont surgi pendant le sommeil. C’est Freud qui se serait amusé avec le travail de Wyn Geleynse.
L’exposition estivale du centre d’art contemporain Séquence propose une rétrospective de l’oeuvre de cet artiste d’origine néerlandaise qui vit aujourd’hui à London, en Ontario. Rassemblées par le commissaire Sylvain Campeau, ses vidéos se distinguent par leur structure qui ne s’organise pas selon une logique cinématographique traditionnelle.
Le film tel qu’on le conçoit généralement, celui dont la forme correspond aux critères de diffusion des télévisions et des cinémas (et de la majorité des cinéphiles, il faut l’admettre), est le résultat de la mise en oeuvre d’un scénario: l’image en mouvement tente de donner une nouvelle dimension aux mots d’une narration et de ses dialogues. Dans le travail de Geleynse, ce sont plutôt les séquences, construites à partir d’images fixes ou en mouvement, qui induiront chez le spectateur un scénario qui lui sera propre, dont il sera en quelque sorte l’inventeur – d’où le titre donné à l’exposition, Inférences narratives. Chacun se fait sa propre histoire.
Ainsi, même s’il se trouve devant une oeuvre vidéographique, le visiteur vivra plutôt une expérience esthétique se rapprochant de l’appréciation d’une photographie ou d’une peinture. Car les installations de l’artiste se distancient de la représentation et de la narration pour plutôt nourrir de leur force d’évocation. C’est par bribes que l’on aura accès à l’univers filmé, et c’est sur ce matériau qu’on construira son propre sens.
La mise en espace de ces installations vidéographiques est particulièrement remarquable, provoquant des interférences entre la vidéo et le réel. Ici, un homme crache des blocs de bois colorés par l’alphabet, cubes qu’on retrouve réellement répandus sur le plancher. Là, un écran sera marqué par l’image qu’on y voit projetée, laissant la trace des carreaux d’une fenêtre où évoluait plus tôt un personnage.
Cette question de l’écran est d’ailleurs très présente dans la démarche de l’artiste, entre autres dans son travail installatif, mais aussi dans ce que présentent les images choisies. Ses séquences filmiques donnent plusieurs exemples de ce qui peut faire écran au monde et empêcher de le voir tel qu’il est – glace, rideaux, reflets, fenêtre. Le spectateur est voyeur d’une réalité qui lui échappe. Aucun film ne nous le dira jamais si bien: le monde est fuyant, le réel ne se donne jamais totalement à notre conscience… À fuir si vous n’avez pas d’imagination.