Shuvinai Ashoona; Annie Pootoogook : Après la mort
Les dessins de Shuvinai Ashoona et d’Annie Pootoogook montrent comment la culture inuite n’est pas morte et peut se développer en dehors des clichés pour touristes.
L’an dernier, lors d’une table ronde à laquelle je participais, qui traitait de la situation de la culture au Canada, un des intervenants, le peintre Alex Janvier, a fait un constat qui a été très remarqué. Il nous a fait réaliser que si nous nous inquiétions du déclin de la culture au pays, nous pouvions aussi nous rendre à deux ou trois heures en avion vers le nord pour y découvrir "le tiers-monde au Canada" avec ses populations ayant été extrêmement acculturées. Il nous a rappelé comment les autochtones sont aux prises avec un taux de suicide dépassant de très loin celui des blancs, mais aussi avec des problèmes d’alcoolisme et de violence… Voilà un triste constat. Nos problèmes culturels (par exemple, comment ne pas être phagocyté par la culture de masse des États-Unis) semblent presque insignifiants comparés à ceux-là. Nous, les populations du sud du Canada, ne connaissons peu ou pas les populations du nord (faites le test autour de vous et trouvez qui de vos amis est allé voir les peuples inuits, pourtant nos compatriotes).
Comment les autochtones du nord, mais aussi du sud du pays, vont-ils réussir à s’en sortir, à rebâtir leur société et leur culture? Une partie de la réponse réside peut-être dans l’exposition Traditions contemporaines qui a lieu ces jours-ci à la Galerie Pierre-François Ouellette.
Le galeriste y présente toute une série de dessins de deux artistes de Cap Dorset, ville du Nunavut. L’art, pour Shuvinai Ashoona et pour Annie Pootoogook, est sans nul doute une manière de vivre, de survivre, de réinventer la vie. C’est ce que vous pourrez mieux voir et comprendre dans des extraits de deux films à leur sujet (réalisés par Marcia Connelly) qui accompagnent cette expo. Pootoogook, fille et petite-fille de femmes artistes, qui a commencé à faire du dessin en 1997 à l’âge de 28 ans, y explique comment, avant de faire de l’art, elle "n’était rien" (ce sont ses mots), et comment, depuis, elle est devenue "une personne"…
Dans les oeuvres des deux artistes, les problèmes des autochtones sont très présents. Un exemple: dans un dessin intitulé Man Crying Over the Bible, Pootoogook y montre un homme plié en deux par la douleur. Dans une sorte de nuage flottant à gauche de cet homme, une première légende (écrite en inuktitut) parle du fait de "perdre un enfant qui s’est suicidé". Dans un soleil flottant à droite, une deuxième légende explique qu’il faut "s’accrocher à l’amour". À Cap Dorset, ville de 1236 habitants, 20 personnes se sont suicidées en 10 ans, dont un garçon de 12 ans! Le taux de suicide pour la population inuite est de 110 pour 100 000 habitants, soit de 10 à 11 fois plus que dans le reste du pays. Nous parlons souvent du suicide de nos concitoyens et de la façon dont il faut lutter contre ce fléau. J’ai rarement entendu pareil discours à propos des autochtones… En plus de nous montrer des oeuvres de qualité artistique indéniable, cette expo nous permettra aussi d’éveiller nos consciences.
À voir si vous aimez /
Marcel Dzama, Laylah Ali et Pavel Pepperstein