Darren Ell : Vos papiers!
Darren Ell est un photographe engagé. Dans son expo intitulée Entre états, il nous montre les limites de nos démocraties.
Nous pourrions avoir le sentiment que les questions soulevées par l’expo de Darren Ell ne nous concernent pas totalement. Les situations des nouveaux arrivants en attente de leur statut légal de réfugiés ou celles des citoyens détenus en prison ou placés sous surveillance pour un temps indéterminé avec un certificat de sécurité (grâce auquel les preuves de la possibilité de la culpabilité de l’individu sont gardées secrètes), devraient-elles troubler notre confort?
Si nous avons de la difficulté à avoir de l’empathie pour les individus que nous présente Darren Ell, il suffit, pour nous convaincre du contraire, de se rappeler les mésaventures de Suaad Hagi Mohamud, Torontoise d’origine somalienne coincée depuis le mois de mai au Kenya. Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée désignée comme criminelle, dans l’impossibilité de venir retrouver son enfant au pays. Malgré son passeport canadien, elle fut déclarée comme un imposteur par les représentants consulaires canadiens et livrée à la justice du Kenya, car ses lèvres ne ressemblaient pas à celles apparaissant sur la photographie de son passeport… Nous pouvons tous un jour nous retrouver dans une situation de cet ordre, désarmés devant la bêtise d’un système douanier ou des autorités policières. Nos lois et notre gouvernement nous protégeront-ils?
Ce qui est sûr, c’est que notre pays défend de moins en moins bien ses ressortissants à l’étranger (pensons à Omar Khadr, Maher Arar, Abousfian Abdelrazik, Mohamed Kohail…). En juillet dernier, Amnistie internationale, dans une lettre au ministre Cannon, a déclaré être "préoccupé par la décision du gouvernement canadien à l’effet qu’il ne cherchera plus à obtenir la clémence pour les citoyens canadiens qui sont condamnés à mort aux États-Unis et ailleurs". Et la situation n’est guère plus intéressante pour les droits des émigrants débarquant ici ou pour les citoyens soumis aux certificats de sécurité à l’intérieur même du pays (pensons à Adil Charkaoui).
Vous pourrez juger de la situation en voyant l’exposition de photographies de Darren Ell. Dans Entre états, il nous montre une dizaine de portraits (et d’histoires) d’individus qui se retrouvent dans des situations impensables.
C’est le cas de Mohamed Harkat, qui a fui la dictature algérienne en 1990 et qui a été arrêté au Canada en 2002 puis libéré en 2006, sans accusation, car il aurait des liens avec des terroristes.
C’est le cas de Mahmoud Jaballah, arrêté, torturé et relâché sept fois par le régime égyptien (sans aucune accusation) et qui a demandé l’asile au Canada. Sa femme a perdu l’enfant qu’elle portait à la suite des tortures qui lui furent infligées. Monsieur Jaballah fut arrêté et emprisonné deux fois au Canada, là encore sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui.
Voilà une expo qui montre qu’il existe encore des artistes engagés, qui ne s’intéressent pas qu’aux modes et à la décoration pour demeures bourgeoises.
À voir si vous aimez /
Le World Press Photo