Mois de la Photo à Montréal : Les théâtres de l'image
Arts visuels

Mois de la Photo à Montréal : Les théâtres de l’image

C’est la 11e édition du Mois de la Photo à Montréal (MPM), ayant pour thème l’image mise en scène. Vingt-quatre expos d’artistes provenant de treize pays.

Pour ce 11e MPM, la commissaire française Gaëlle Morel a choisi un thème d’une grande pertinence. En effet, comme elle l’écrit: "Depuis une trentaine d’années, l’intégration de la photographie dans le champ artistique contemporain se trouve confirmée par la pratique de nombreux artistes qui associent leurs images à de véritables expériences scénographiques." De plus en plus de photographes ne se contentent donc plus de la photo comme objet, mais dévoilent comment l’image existe dans un espace de représentation, c’est-à-dire un contexte de présentation et de lecture. Il n’existe pas qu’un type d’image, mais des usages aux images.

Toutes les expos ne sont pas commencées, mais tous les ingrédients sont là pour une bonne année, même si j’aurais aimé y voir plus d’artistes québécois, comme Yan Giguère (dont l’expo au centre Optica n’est étrangement pas incluse dans l’événement…).

Signalons pour l’instant deux oeuvres phares.

JAAR: RECONTEXTUALISATION

Aux Ateliers Jean Brillant (où il y a aussi une formidable installation d’Emmanuelle Léonard), l’artiste d’origine chilienne Alfredo Jaar présente The Sound of Silence. Il y met en scène une photo du photojournaliste Kevin Carter, qui s’est suicidé après avoir reçu le prix Pulitzer pour cette image montrant une petite fille mourant de faim au Soudan alors qu’elle est guettée par un vautour. L’image y est dévoilée pendant une seule seconde, après que le spectateur a eu droit au récit de sa création et de son créateur. Jaar explique le contexte de production de son installation ainsi: "J’ai vu cette image la première fois qu’elle a été publiée dans le New York Times, en 1993. Je l’ai gardée. Je n’avais jamais vu une image qui montre d’une manière aussi précise la distance entre le monde dit développé et le monde dit en voie de développement. Quand, en juillet 1994, Carter s’est suicidé, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. J’ai pris un an et j’ai écrit cette pièce mais je n’ai pas trouvé le moyen technique de la réaliser. J’ai essayé de le faire avec des projecteurs de diapositives. C’était très compliqué. Mais j’ai gardé le texte original. Finalement, dix ans après, on m’invite à un festival de photo à Houston et on me donne les fonds nécessaires pour une grande pièce que j’ai élaborée avec un petit génie de la technologie."

Est-ce une oeuvre qui dénonce comment, dans nos sociétés, les images prennent trop de place? Des gens ont même décrit Carter comme un prédateur… L’oeuvre de Jaar est plutôt une dénonciation du fait que les images vraiment importantes sont peu montrées.

L’artiste poursuit: "Faut-il tuer le messager qui apporte la mauvaise nouvelle? Nous sommes bombardés par beaucoup d’images, et il est difficile pour une image de cette qualité de survivre à cette merde de consommation. Je voulais créer un théâtre pour une image, lui dédier un espace et un temps."

Et c’est totalement réussi, un accord parfait entre la mécanique de la présentation et l’image-texte présentée.

CONVERT: REAFFIRMATION ESTHETIQUE?

À la Galerie de l’UQÀM, une autre photo marquante (et sa mise en scène) attend le spectateur. Il s’agit de Massacre à Bentalha, 23 septembre 1997, prise lors de la guerre civile d’Algérie par Hocine Zaourar et reprise ici dans une sculpture de cire, intitulée La Madone de Bentalha, par le Français Pascal Convert. L’interprétation de cette photo par Convert n’est certes pas aussi forte que celle de Carter par Jaar. En ramenant cette image à une forme sculpturale, Convert nous dit comment des photos sont prises au piège dans la convention de mise en scène de l’art ancien, ici religieux (avec, entre autres, une évocation du drapé de la Sainte Thérèse du Bernin). Si Jaar a su fondre image et interprétation dans un même dispositif, l’oeuvre de Convert est tiraillée dans une opposition plus conventionnelle entre image et texte, entre une sculpture et une explication qui lui est extérieure (un vidéo explicatif très intelligent est d’ailleurs placé à côté). Néanmoins, une oeuvre qu’il fallait absolument exposer pour souligner les questions de la photo actuelle.

À voir si vous aimez /
Yan Giguère et Claire Savoie

Alfredo Jaar:

Pascal Convert: