Yan Giguère : Tropismes
Arts visuels

Yan Giguère : Tropismes

Yan Giguère installe ses photos comme un cinéaste d’avant-garde monte un film. Il accole des images-moments, flashs de perceptions qui marquent la mémoire et l’être.

OU S’EN VA LA PHOTO CONTEMPORAINE?

Ras le bol des photos sous plexiglas qui ressemblent à des images de mode ou de pub pour magazines de papier glacé. Ras le bol aussi des photos esthétisantes grand format, copiant les dimensions de la peinture d’histoire ou du portrait officiel, objets de luxe pour riches collectionneurs. Marre de l’art de la décoration qui pullule ces temps-ci. Je veux de l’étrange, je veux du surprenant et du hors norme, je veux du curieux et du singulier qui soit aussi intelligent, qui puisse m’apprendre quelque chose sur la vie et sur l’être… Sans tomber dans la littéralité, dans le propos unidimensionnel et conventionnel. Je veux l’expression d’une intériorité connectée à la vie extérieure. Est-ce trop demander?

MOMENTS D’ARRET

Dans sa plus récente installation photographique, intitulée Attractions, Yan Giguère fait presque de la photo ancienne, démodée. Les tirages argentiques en noir et blanc (avec souvent une bordure blanche comme on le faisait auparavant) dominent son exposition. Mais il ne fait pas que ça. Il y a aussi des images de fleurs numérisées. Or, l’impératif de la nouveauté technologique n’est pas sa loi à lui. Ni son dégoût.

Il m’explique comment son titre fait référence à l’attirance qui nous pousse vers le haut, vers la lumière, vers l’éclosion… Comme le dit Marie-Josée Lafortune dans le texte de présentation, il y a du tropisme là-dedans, mot qui sert à désigner une force extérieure (la lumière, la gravité…) qui oriente la direction de croissance des végétaux. Mais ce concept de tropisme pourrait être aussi une manière de parler de l’énergie qui nous pousse à agir dans une certaine direction.

Il y aurait ici des liens à faire avec le livre Tropismes (1939) de Nathalie Sarraute, où celle-ci interpelle des impressions intérieures, petites perceptions néanmoins très vives, mouvements presque indéfinissables de l’être qui nous poussent à agir d’une certaine manière. De ces "moments dans lesquels on a l’impression que quelque chose d’inconnu est en train de se passer". Là, il faut laisser place à ces mots qui se cherchent. Là, l’expérience personnelle rejoint finalement l’expérience commune.

Giguère nous place devant des petits moments, des flashs, réseaux d’images, où semble se nouer quelque chose de résistant. Une expo presque inclassable. Comme le dit Barthes, l’art ne consiste pas à exprimer l’inexprimable, mais à inexprimer l’exprimable.

À voir si vous aimez /
Nan Goldin