Tehching Hsieh et Guido van der Werve : Temps d’arrêt
Deux New-Yorkais, Tehching Hsieh et Guido van der Werve, nous plongent dans un monde parallèle, un temps artistique où la durée s’écoule autrement.
Il faut produire plus, toujours plus. À tout prix. Ce fut le leitmotiv de la société moderne, et c’est aussi celui du monde postindustriel. N’est-ce pas la loi du marché? Les États-Uniens le font. Les Chinois encore plus… Néanmoins, l’idée de contester cette productivité sans limites a été le fait de bien des groupes sociaux et artistiques. Et ce, bien avant l’émergence de l’esthétique relationnelle du critique français Nicolas Bourriaud qui défend "la constitution d’espaces artistiques échappant au cadre de l’économie capitaliste car soustraits à la loi du profit". Bien des artistes de la performance et de la vidéo ont opté pour cette attitude.
À la recherche du temps perdu
Les oeuvres des deux New-Yorkais Tehching Hsieh et Guido van der Werve (nés respectivement à Taiwan en 1950 et aux Pays-Bas en 1977), installées ces jours-ci à la Fondation DHC/ART, vont tout à fait dans ce sens. Comme l’écrit la commissaire Sarah Watson, dans le texte de présentation, ces créations ont "un respect pour le "temps perdu"".
Du premier, vous verrez des documents expliquant deux de ses One Year Performance. Pour l’une d’elles (de 1981-1982), Hsieh a décidé de vivre un an à l’extérieur, afin d’être un peu comme un sans-abri, comme un de ces itinérants qui dérangent tant nos sociétés. Pour une autre performance (de 1980-1981), mimant la rythmique du travail en usine, il a punché une carte de travail et s’est filmé toutes les heures (jour et nuit) durant une année. Cela a produit entre autres un court métrage de 6 minutes où l’on voit, en accéléré, les cheveux de l’artiste pousser à vue d’oeil.
Du second artiste, vous remarquerez deux vidéos. Dans l’une, van der Werve s’est tenu au sommet du monde, au pôle Nord, et a tourné lentement sur lui-même, dans le sens inverse de la terre au fur et à mesure que la journée s’écoulait… Il a ainsi défié le sens (concret et surtout symbolique) dans lequel la planète va. L’oeuvre s’intitule d’ailleurs Le Jour où je n’ai pas tourné avec le reste du monde. Et puis, pour finir (pièce de résistance par excellence), dans Tout ira bien, l’artiste se met en scène dans une lente marche merveilleuse, poétique, infinie sur la banquise. Victoire de l’art sur la pression productive? Pas si sûr. Un immense brise-glace semble vouloir continuellement le rattraper. Échappe-t-on à la mécanique du monde?
Au risque de passer pour un nationaliste primaire, pour un protectionniste étroit d’esprit ou tout simplement pour un critique défendant sa culture et "ses" artistes (comme bien des critiques à travers le monde), je ferai un reproche à cette petite et passionnante expo. On aurait facilement pu y ajouter un artiste québécois. Le travail de Rachel Echenberg, qui dans ses performances et vidéos a elle aussi travaillé sur les notions d’attente, de patience, de vulnérabilité, d’expériences limites du corps, aurait été en parfait dialogue avec les démarches de Hsieh et de van der Werve. L’associer avec deux artistes connus sur la scène internationale aurait permis de donner de la visibilité à une artiste d’ici et de poursuivre la réflexion sur un thème très pertinent.
À voir si vous aimez /
Rachel Echenberg