Andrew Hunter : L'esprit du feu
Arts visuels

Andrew Hunter : L’esprit du feu

Par le projet d’installation The Rustification of Henry Thomas Brown, Andrew Hunter tente de calmer un esprit destructeur… qui fut responsable de la chaufferie de l’Université Bishop’s à la fin du 19e siècle.

Le terme rustification réfère à deux choses: une expulsion temporaire infligée par une institution à quelqu’un coupable d’une infraction, ou le fait de s’installer à la campagne. Les deux significations peuvent s’appliquer au cas d’Henry Thomas Brown, membre du personnel de l’Université Bishop’s de 1890 à 1896, auquel s’est intéressé Andrew Hunter. Normalement, l’existence de cet homme qui fut responsable de la chaufferie de l’université serait restée à jamais oubliée, mais un petit encadré dans l’un des journaux qui s’empilent dans les archives de l’institution a modifié la suite logique des événements. "C’était une petite note qui disait: le personnel et les étudiants seront attristés d’apprendre la mort de Brown, l’homme de la chaufferie. J’ai trouvé ça intéressant. On soulignait la disparition de ce travailleur mais, curieusement, on ne le nommait que par son nom de famille. J’ai donc décidé de le replacer dans l’histoire de l’université", explique l’artiste.

Voilà la prémisse d’un processus typique du travail de Hunter. Intéressé par le sort des individus obscurs, des gens marginalisés, il se penche sur l’histoire des petites communautés et l’entremêle à la fiction. Dans le cas de The Rustification of Henry Thomas Brown, la réalité s’est révélée féconde en légendes. "À un certain moment, le projet a pris une nouvelle direction. Les choses ont évolué rapidement grâce à deux éléments. Premièrement, il y eut la découverte de sa pierre tombale, située tout au fond d’un cimetière en plus d’être non identifiée. Ça m’a fait penser à des histoires de fantômes, d’esprits qui ne dorment pas en paix. Parallèlement à ça, j’ai noté plusieurs incendies dans les environs de Lennoxville. Les photographies de l’exposition en témoignent." C’est ainsi que la trame narrative a émergé, pour ensuite se définir.

EXORCISME ARTISTIQUE

Est-ce l’esprit destructeur de Henry Thomas Brown qui est derrière le feu qui s’en prend aux édifices de la communauté de Lennoxville depuis plus d’un siècle? Sachant qu’un impressionnant incendie a presque rasé l’Université Bishop’s en 1891 alors que notre homme s’occupait de la chaufferie, Andrew Hunter n’a pas voulu prendre de risque et a cherché à calmer le fantôme pyromane. Sur la tombe de Brown, il a déposé des offrandes en plus de se prêter à un bien étrange exorcisme (il lui jouait des airs à la mandoline). Une vidéo de l’exposition témoigne de cet exercice.

Comme si cela n’était pas assez (de nouveaux incendies ont eu lieu), l’artiste est retourné à la fameuse pierre tombale, mais cette fois, accompagné d’un puissant allié: son chien Roger. "Il a toujours été bon pour trouver des choses, mais il est subitement mort. Il avait cinq ans." Visiblement, Henry Thomas Brown ne voulait pas être retrouvé! Ce nouvel élément a influencé le ton de l’histoire… et sa conclusion. Dans l’installation, on trouve une lettre que l’artiste a écrite à son chien; il lui relate les hauts et les bas de sa quête.

Celle-ci n’a pas été vaine, car aujourd’hui, on se souvient de celui qui s’occupait de la chaufferie de l’université. N’y a-t-il pas là une certaine dénonciation des traditions d’une institution qui a tendance à ne célébrer que ses administrateurs et ses professeurs? "Sans être une critique de Bishop’s, il y a un peu de ça, répond Hunter. Il existe une hiérarchie dans les universités qui tend à dévaloriser certains travailleurs, mais on retrouve ça un peu partout en société. Or, on a beaucoup à apprendre de ceux qui travaillent dans l’ombre."

À voir si vous aimez /
Les installations, les légendes, l’histoire des Cantons-de-l’Est