Kiki Smith et Geneviève Cadieux : Un regard habité
Kiki Smith est enfin de retour à Montréal. Un art étrange et beau comme un poème de Mallarmé… Geneviève Cadieux forme avec elle un intense duo à la Galerie René Blouin.
"Que, pluie et diamant, le regard diaphane resté là sur ces fleurs dont nulle ne se fane." – Mallarmé
Kiki Smith est, sans nul doute, l’une des artistes contemporaines les plus remarquables. De la trempe d’une Louise Bourgeois. La voici revenue chez René Blouin après trop d’années d’absence, avec entre autres quatre petits dessins faits d’encre, de paillettes et de feuilles d’or sur un papier népalais qui semble presque sur le point de s’envoler ou de s’effriter, dessins fragiles et merveilleux, curieux. On y perçoit des regards irradiants, dirigés vers le haut (et le ciel?), détournés vers le bas, semblant pétrifier ou pulvériser ce qu’ils touchent.
Cela évoquera le regard de la Gorgone, mais aussi les faisceaux lumineux d’extraterrestres, comme dans La Guerre des mondes. Mais s’il y a guerre ici, c’en est une de points de vue sur le monde… Il faut aiguiser son regard pour saisir le merveilleux et détruire le banal. Voilà le propos que ces dessins paraissent incarner. Mais comme toujours chez Smith, les signes sont riches. Il y a du symbolisme dans tout ça. Il y a du Verlaine, du Rimbaud et du Mallarmé, de la voyance et du magique. On me croira anachronique, décalé… Peu m’importe. Il y a de nos jours un retour (nécessaire) au symbolisme du 19e siècle, au mystère de cet art ancien. Une sorte de résistance à l’instrumentalisation commerciale de l’art, manière de rendre l’oeuvre opaque en cette époque où la création se fait souvent décoration jolie et art de la communication. Et Smith représente merveilleusement cette résistance-là. Ces dessins d’yeux iridescents m’ont fait penser à ces étranges globes oculaires chez Odilon Redon (dans sa série Les Origines ou dans d’autres images comme Yeux dans la forêt...). Chez Smith, le corps et l’organique sont présents non pas comme de belles formes, mais comme échos d’un monde hors du visible.
Un seul défaut à cette expo: j’aurais voulu voir plus (d’oeuvres). Mon regard fut à la fois excité et en manque.
Cadieux
Geneviève Cadieux me paraît avoir renoué avec une production plus dramatique, qui lui sied parfaitement. J’ai retrouvé dans sa plus récente oeuvre, en particulier dans la grande photo intitulée Rivière noire, une étrangeté douloureuse et abyssale comme elle a su si bien la présenter à une certaine époque. Cette image centrale de l’expo nous invite à plonger dans une terrible beauté, une sensibilité inquiète. Et le grand format (que j’ai pourtant si souvent critiqué comme un maniérisme de notre époque) semble ici nécessaire, participant au sens convoqué, à cette immensité de l’étendue d’eau qui nous appelle. Seuls peut-être un Arbre flou et un lierre (un peu trop jolis et agréables) nous retiennent de plonger totalement dans les profondeurs de ce monde sombre. On leur préférera ces anémones bien plus étranges qui les accompagnent (même si elles ont elles aussi une préciosité certaine).
Malgré ce bémol, l’inspiration de Cadieux se renouvelle dans cette plongée visuelle.
Kiki Smith:
Geneviève Cadieux:
À voir si vous aimez /
Louise Bourgeois et les marines de Gustave Le Gray