Mathieu Lefevre : Que faire d’un héritage?
Le jeune artiste Mathieu Lefevre nous présente sa relecture de l’art moderne. Dialogue intergénérationnel humoristique et mélancolique.
Aux familiers du milieu de l’art, je n’apprendrai rien en disant que pour bien des artistes actuels, postmodernes, l’art moderne est devenu un matériau avec lequel jouer. Autant sur la scène internationale que canadienne, bien des créateurs ont mis en scène et rejoué ces codes maintenant anciens. Par exemple, en 1997, la jeune Marie-Claude Bouthillier dans Demande à la peinture ou, en 1999, le jeune Michel de Broin avec Matière dangereuse ont relu, se sont approprié la peinture abstraite.
Le premier solo à Montréal de Mathieu Lefevre va tout à fait dans cette direction. Ici, un ensemble de gommes à mâcher placées en dessous d’un bureau fait penser à un Jackson Pollock; là, cette oeuvre, intitulée Bad Painting, réduit ce mouvement des années 70 à un tableau posé sur une chaise et placé dans un coin comme un mauvais élève mis au piquet. Cette expo met en scène des idées importantes de la peinture moderne. La monstration (exacerbée) de sa matérialité en fait partie. Cela servait à montrer à quel point la peinture est une image fabriquée, manipulée, un point de vue sur le monde expliqué à travers un support particulier. Parfois, Lefevre travaille avec humour (en déconstruisant à son tour les mythes qui ont aussi enveloppé la peinture moderne), avec une légèreté presque enfantine. Dans la vingtaine d’oeuvres présentées, quelques-unes sont plus faciles, dont ce livre couvert de peinture intitulé Histoire de la peinture… Mais parfois Lefevre procède avec une pertinence et un sérieux déroutants. C’est le cas de ce tableau intitulé Oil Canvas, composé uniquement de peinture à l’huile qui s’affaisse, s’écroule sous son propre poids. Voilà une oeuvre que bien des peintres abstraits des années 50 n’auraient pas reniée.
L’une des clés de cette expo est certainement ce tableau où est inscrite la phrase "I Don’t Understand Art About Art". Écrite en boucle, elle peut aussi se lire ainsi: "Art About Art I Don’t Understand". C’est toute l’ambiguïté sympathique que met en scène Lefevre. Comme les maniéristes, écrasés par les réalisations des grands artistes de la Renaissance qui les avaient précédés, l’artiste postmoderne est aux prises avec un héritage imposant (le poids de l’intelligence de l’art moderne) qui le laisse avec le sentiment que tout a été dit et fait, et qu’il ne lui reste plus qu’à redire et commenter.
À voir si vous aimez /
BGL