Diabolique : L'art en questions
Arts visuels

Diabolique : L’art en questions

Diabolique est l’humain? À la guerre et à la violence, que peuvent répondre les artistes? Une expo avec les frères Chapman, Shirin Neshat, Raymond Pettibon, Nancy Spero…

Dans notre époque où l’art est souvent fait et pensé pour de riches collectionneurs par des artistes décorateurs jet-sets, l’art engagé est-il mort? Depuis quelque temps, il revient pourtant au devant de la scène artistique. Lors de la conférence de Copenhague, les faux communiqués de presse et sites Internet des Yes Men (expliquant comment le Canada allait réduire ses gaz à effet de serre) en furent de bons exemples. Diabolique, une expo à la Galerie de l’UQAM (en provenance de la Dunlop Art Gallery à Régina), nous montre la vitalité des attitudes dans ce domaine au Canada et à l’étranger, avec une forme d’art qui pose beaucoup de questions.

Est-ce vraiment de l’art, se demanderont certains? Voilà une forme d’intervention que bien des gens préféreront en effet écarter du revers de la main, en n’y voyant que de l’activisme. Ce reproche a été fait (entre autres à l’Action terroriste socialement acceptable, malheureusement absente de cette expo) et néglige délibérément le fait que l’art actuel n’est heureusement plus cantonné à une forme particulière. Cela sert-il à quelque chose? Beaucoup ne veulent pas croire à l’impact de l’art engagé sur un public en général amorphe. À cela, la commissaire de cette expo, Amanda Cachia, répond que c’est une forme d’éducation et que comme toute éducation, elle se fait sur le long terme. Il faudrait aussi ajouter une autre question, faisant écho à la pensée du philosophe Jacques Rancière (dans son livre Le Spectateur émancipé): pourquoi appliquer à l’art engagé des concepts de rendement et d’efficacité rapides, issus en partie du capitalisme, que ce type d’art critique pourtant avec force?

Dans cette expo, la liste des oeuvres intenses est longue (sont de la partie, entre autres, les frères Chapman, Shirin Neshat, Raymond Pettibon, Nancy Spero…). Citons la participation de deux artistes un peu moins connus: About Violence and War, PowerPoint de dessins très bande dessinée de Dan Perjovschi, fait preuve d’un humour mordant; et il faudra regarder attentivement les dessins faussement naïfs, presque une forme d’art outsider (mot désignant un art fait par des autodidactes et issu de la marge du milieu de l’art), de Michael Patterson-Carver, autrefois sans-abri et qui s’est impliqué (je n’utiliserai pas le mot activiste, qui me semble connoté péjorativement) dans des causes environnementales et sociales.

Certes, dans cette expo, certaines interventions sont plus littérales ou plus simplistes. C’est le cas du collage de Jason Thiry qui mélange motifs de camouflage et images pornos pour dénoncer les tentatives des armées du monde qui veulent rendre plus "sexy" leurs pubs racoleuses… Le propos est juste, mais le résultat manque d’épaisseur. Les tableaux de Wanda Koop me semblent manquer de recherche plastique. J’aurais aussi aimé voir des oeuvres qui interviennent plus dans le tissu social, ou plus participatives. L’absence de l’installation de Jeremy Deller (qui a été présentée à Régina et que j’avais pu voir au New Museum à New York) est aussi décevante. Dans celle-ci, Deller permettait aux visiteurs de s’entretenir et de débattre avec des universitaires et spécialistes sur le sujet de l’Irak.

Néanmoins, une expo passionnante à visiter entre amis, qui donnera sans doute lieu à des discussions enflammées. Dans un Canada souvent frileux quant aux débats (même parlementaires), voilà qui sera l’amorce d’un acte engagé.

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