Denys Tremblay : Un trou dans les nuages
Rencontrés en plein travail de résidence à Séquence, Denys Tremblay et son double nous entretiennent sur l’exposition A.A.A. L’art après l’apocalypse.
Il y avait un bon moment que Denys Tremblay n’avait pas exposé. À la suite de l’insistance du directeur général de Séquence, Gilles Sénéchal, et avec un commissariat de Jean-Pierre Vidal, l’artiste présente un nouveau corpus d’oeuvres.
APOCALYPSE NOW
"L’apocalypse, c’est interne, disons qu’on peut le voir comme ça. On meurt dans l’insignifiance, l’indifférence et l’équivalence", lance Tremblay dans ce qu’il nomme la grande salle des Petites larmes. Il fait référence aux trois citations de Jean Baudrillard inscrites sur les murs, auxquelles il ajoute celle-ci: "Tout ce qui vit de l’urgence périra par le confort." Dans la galerie où ont été aménagées également une petite salle du Grand imaginaire et la salle du Fils barbelé, un jeu interne circule et renvoie à une multitude de couches de sens. Des dialogues peuvent s’ébrouer entre références philosophiques, sociales, techniques, politiques, et bien d’autres. Chacun y prend ce qu’il veut. Différents textes sont disposés avec soin, dont certains de Jean-Pierre Vidal, qui a collaboré activement au projet.
On trouve sur une grande table les menus du tristement fameux Titanic et, non loin, une réplique zébrée du bateau avec un château en guise d’iceberg. Sur cette idée, Tremblay commente: "On vit dans un Titanic occidental, québécois ou régional. Je pense, et je ne suis pas le seul, que l’esprit du royaume du Saguenay est en train de s’effriter. Il y a des gens qui dansent dans la grande salle, il y en a qui résistent, qui cherchent des bateaux de sauvetage. Ce que je veux dire par là, c’est de trouver comment t’en sortir toi. C’est pas gai, tout le monde se cherche un territoire, un bateau, tous ceux qui sont conscients que quelque chose ne va pas." Malgré le sérieux du propos, les oeuvres regorgent d’humour et le plaisir de jouer avec les mots transparaît.
REALITES FIC/FRICTIONNELLES
L’épopée artistique de la monarchie de L’Anse-Saint-Jean prolonge son questionnement sur les frontières de la création, que Denys Tremblay illustre ainsi: "Le crime que j’ai fait, c’est d’avoir fusionné le réel et l’imaginaire. Tous les artistes veulent repousser les limites, et tout ça ne peut se faire que dans l’oeuvre, ça ne peut pas être réel. Imaginez que Tintin se fusionne avec Hergé pour devenir Hertin Tingé, est-ce qu’on vivrait dans une bande dessinée? C’est ça qui est arrivé: le personnage l’Illustre Inconnu a été élu roi municipal, s’est fusionné avec son auteur Denys Tremblay pour devenir Denys 1er de l’Anse." À la fois réalité et fiction, la démarche de Tremblay trouve des échos dans la modernité avec son désir de rapprocher l’art et la vie comme dans le réalisme qui montre ce qu’il ne faut pas voir. Avec une logique d’entrecroisements de sens, les oeuvres font surgir le rire et l’inconfort. Est-ce autodérision, dérision de l’autodérision, dérision de Sa Majesté Elisabeth II? Cette dernière pose face à face avec Denys 1er de l’Anse, alors qu’autour leurs portraits jumelés évoquent des affiches graffitées. Paramètres de l’art et du réel, construction de la vie.
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Alias, de l’Illustre Inconnu au Roi de l’Anse au musée de La Pulperie, La Société du spectacle de Guy Debord et Tintin et le sceptre d’Ottokar