Eija-Liisa Ahtila : Immersion?
Arts visuels

Eija-Liisa Ahtila : Immersion?

C’est la plus grande rétrospective hors Europe d’Eija-Liisa Ahtila, cette Finlandaise qui crée des installations vidéo traitant de la mort et des angoisses existentielles.

Int. scène-jour. C’est le titre (faisant référence aux scénarios de films) de cette expo placée sous le signe de l’inconfort et du malaise. À la Fonderie Darling, l’installation vidéo Where is Where (présentée la première fois lors de la rétrospective de l’artiste au Musée du Jeu de Paume en 2008) est tout à fait exemplaire de cela. Décrivons la chose.

Six grands écrans exhibent un récit que l’on prend comme un train en marche (aucune heure de diffusion n’étant affichée), ce qui vous obligera certainement à revoir une deuxième fois cette vidéo, pour vraiment y plonger. Cela donne un sentiment de fragmentation et de complexité accentué par le fait que deux temps narratifs s’y mélangent (le présent d’une poétesse à la recherche du sens de la vie et le passé de deux enfants en Algérie qui en tuèrent un troisième). Des images d’archives intercalées dans le récit (traitant de la guerre d’Algérie) et un petit film d’animation à l’entrée viennent amplifier ce sentiment d’étrangeté poétique, créant une étonnante rencontre entre fiction et documentaire, entre émotions individuelles et images sociales… Et puis, des plans fixes créent des effets de tableaux ou de photos qui semblent nous inviter à les scruter sans que nous ayons tout à fait le temps de le faire (c’est le cas lorsqu’on voit les livres dans la bibliothèque de la poète), ce qui vient rompre le flot narratif. Les quatre écrans principaux ne diffusant pas les mêmes images, le spectateur est de plus souvent en train de tourner la tête d’un bord, puis de l’autre, cherchant à savoir s’il y a une cohérence ou une explication supplémentaires à trouver. Et pour compléter cette atmosphère de malaise, vous serez assis sur de petits poufs (ou resterez debout) durant près d’une heure…

Un dispositif défaillant? Il s’agit plutôt de réinventer l’image en mouvement, de venir casser une certaine culture du confort, du réconfort, de la certitude, si présente dans le cinéma hollywoodien (où le sens est toujours clair) avec son modèle narratif cinématographique dominant inventé dans les années 1910-1920. Il s’agit d’une tentative de rendre compte du manque de sens du monde, de l’impossibilité de trouver une unité cohérente à la vie, une explication rationnelle à des actions ou émotions troublantes.

Il y a dans l’art d’Ahtila un héritage moderniste, que bien des artistes actuels tentent de perpétuer en vidéo et film d’art depuis au moins les années 90 et qui, dans ce milieu, devient une nouvelle convention. La Documenta de Cassel en 2002 était remplie de ces installations vidéo longues et déstructurées. À Montréal, la rétrospective Shirin Neshat, au Musée d’art contemporain en 2001, était dans cet esprit. Et c’est là que le travail de recherche pertinent d’Ahtila semble trouver ses limites. Son dispositif installatif ne semble pas toujours être vraiment modifié par rapport au contenu présenté. Certains critiques ont voulu voir dans ce dispositif multi-écrans et dans cette manière fragmentée de raconter un désir d’absorber et d’impliquer plus le spectateur. Paradoxalement, j’y vois souvent une mise à distance qui ne sied pas toujours au contenu très émotionnel discuté. Néanmoins, une recherche essentielle.

À voir si vous aimez /
Shirin Neshat