Françoise Sullivan : Fragments d’une rencontre
Le 22 février marquera le 50e anniversaire du décès de l’artiste Paul-Émile Borduas. Nous nous sommes rendu dans l’atelier de Françoise Sullivan pour ranimer quelques souvenirs, en prévision de l’événement qu’organisera la Galerie Lacerte pour le souligner.
Revisitant la mémoire de sa première rencontre avec Borduas, la danseuse signataire du Refus global se souvient de l’impression laissée par l’artiste: "Il avait une manière de parler fascinante, nous étions sous le charme." Introduite auprès de lui par son ami Pierre Gauvreau en novembre 1941, la jeune fille d’alors assiste aux instants décisifs de ce qui allait devenir une révolution picturale: "Pièce par pièce, il a commencé à nous montrer ses oeuvres récentes. Assis par terre dans son salon, nous étions ravis de voir une peinture qui nous ressemblait autant." En effet, "après avoir effleuré le fauvisme en peinture, une manière neuve se présentait à nous: dans le lot, quelques-unes des célèbres gouaches inspirées du cubisme et du surréalisme élaborées au cours de l’année 1941 préparaient la voie de l’automatisme. Borduas lisait déjà Pierre Mabille et la revue des surréalistes français Minautore. De même, la pensée de Breton sur la "beauté convulsive" et l’écriture automatique s’insérèrent dans nos discussions".
"Borduas, par ses critiques sur nos oeuvres, donna beaucoup de confiance à notre création", continue Sullivan, qui raconte comment, peu à peu, une volonté plus révolutionnaire et socialement engagée s’affirma: "On en est venus progressivement à l’anarchisme pour consolider notre travail." Puis vint 1948, année sur laquelle insiste notre interlocutrice: "Un fort mouvement d’émulation et de polémique nous animait, cette année-là allait devenir marquante. Pour moi-même, ça a été une période faste. En février, j’ai présenté un spectacle de danse avec Jeanne Renaud et dans les semaines qui ont suivi, il y eut Danse dans la neige, filmé par Riopelle et dont seules les photographies de Maurice Perron subsistent. Puis, c’était les luttes animées de Claude Gauvreau dans les journaux et la publication du manifeste Refus global qui ont été des moments forts."
En rupture complète avec le groupe de Pellan qui venait de publier son propre manifeste Prisme d’yeux, que plusieurs voyaient comme un relent d’académisme bourgeois, Refus global sera lancé en août 1948 et aura pour conséquences le renvoi de Borduas de l’École du meuble et une panoplie de fâcheux événements. "L’idéologie duplessiste fut particulièrement lourde pour nous à cette époque. Mais, malgré cela, ce fut une belle aventure", se rappelle-t-elle. Avant de clore l’entrevue et toujours en parlant de Borduas, Françoise Sullivan nous confie avec une voix pleine d’émotion: "Il est si important d’avoir des héros."
Le présent entretien a été réalisé dans le contexte de l’événement organisé par le Club des collectionneurs en arts visuels de Québec Paul-Émile Borduas, automatiste et visionnaire, qui se déroulera à la Galerie Lacerte. Y sont prévues des conférences de Françoise Sullivan et Marcel Barbeau, avec des oeuvres automatistes inédites. À voir absolument.