Bodies, l'exposition : L'anatomie de la morale
Arts visuels

Bodies, l’exposition : L’anatomie de la morale

Source d’une controverse qui la sert plutôt bien, Bodies, l’exposition fait à nouveau la preuve que l’éthique est un prodigieux élastique.

Parfois dans la pénombre, d’autres fois baignés par la lumière chaude du matin, se succèdent des corps entiers ou pas, découpés de toutes les manières imaginables, parfois même en tranches.

Conservés grâce à une méthode de momification ultra-sophistiquée, que ses inventeurs nomment plastination – et qui s’avère une plastification effectuée, entre autres, grâce à de l’acétone et à des polymères -, les organes conservent leur apparence originelle, ce qui permet au public de découvrir ce qui se cache sous sa peau. Le squelette, bien sûr. Mais aussi les muscles, les tendons, le cartilage, les viscères, les systèmes sanguin (sans doute le plus fascinant entre tous), respiratoire, digestif et reproducteur, qui y sont pétrifiés pour l’éternité, rien que pour vos yeux.

Et tout au long, on oscille entre le malaise et l’envie de voir.

Ce qui nous amène à la première d’une longue série de questions d’ordre moral suscitées par ce genre d’événement: les promoteurs et diffuseurs de Bodies, l’exposition se drapent-ils dans la vertu – de la pédagogie – pour mieux profiter de la curiosité morbide du public?

Impossible à vérifier, l’exposition donnant certes accès à la plus totale intimité des cadavres, mais pas à la conscience des vivants qui en font un spectacle.

Qui plus est, leur couverture est impeccable.

Car en plus de servir un cours d’anatomie, l’exposition donne dans la conscientisation et s’étend sur les ravages que nous faisons subir à nos propres corps. En témoignent les foies vérolés, poumons encrassés et artères obstruées, disséqués et mis en exergue à dessein, avec commentaires moralisateurs en prime: leçon de bonne conduite amusamment servie par des gens de science et d’affaires qui étirent au possible l’élastique de l’éthique.

Une situation cependant payante pour Bodies, car la controverse rapporte d’importants dividendes médiatiques. Qu’il s’agisse d’éthique relative à l’exposition de véritables corps humains ou à leur provenance – la Chine – qui soulève de nombreux doutes (s’agit-il de prisonniers politiques, de condamnés à mort?), une bonne partie de l’attention des journalistes aura été générée par ces questions.

Quant aux éthiciens auxquels on a tendu le micro, ils semblaient surtout regretter que les organisateurs n’aient pas formé de comité d’éthique avant la venue de Bodies, comme on l’avait fait avec l’exposition analogue de Gunther von Hagens à Montréal.

Dans certains cas, par exemple devant cet arbre bronchique qui ressemble à s’y méprendre à du corail, la fascination prend en effet le pas sur nos réserves morales, de même que sur l’impression d’inégalité de l’ensemble d’une expo qui, certes pédagogique, nous laisse parfois sur notre faim (on aurait souhaité plus de matériel de soutien, de la vidéo par exemple).

C’est le pari qu’ont fait les organisateurs: peu importe la controverse, tout le monde voudra voir, ne serait-ce que pour se faire sa propre opinion sur la chose. Certains principes survivent rarement à l’épreuve de la curiosité.

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