Stéphane Gilot : Le cadre de l'image
Arts visuels

Stéphane Gilot : Le cadre de l’image

Avec Le Buvard du monde, Stéphane Gilot nous plonge au coeur du problème de la représentation du désastre. Une critique de notre société carburant à la catastrophe et à la peur?

Quelle étrange catastrophe a touché le centre Occurrence? Le premier étage de la galerie est jonché d’une structure de bois démantibulée, comme si quelque cataclysme s’était abattu sur elle. Dans un coin de la salle, un petit dessin fait écho à cet amoncellement. Il montre un individu réfugié sur le toit d’une maison engloutie par les eaux. Cela fait bien sûr penser à l’ouragan Katrina de 2005 ou au tsunami de 2004… Pour amplifier cette mise en scène pensée par Stéphane Gilot, l’artiste interdisciplinaire, performeuse, danseuse et chorégraphe Caroline Dubois est présente chaque samedi dans la galerie (de 14 h à 16 h), incarnant presque sur ce monticule de ruines de bois dans la galerie le petit personnage du dessin. Dubois y est présente dans diverses poses, parfois allongée, comme accablée ou meurtrie par ce désastre, tantôt plus décidée, essayant de grimper sur certains montants et planches… Au loin, venant du sous-sol de la galerie, un son (émis par une vidéo qui montre cette structure de bois du premier étage démolie mais aussi à certains moments en bon état, occupée par des individus s’amusant) laisse entendre qu’une activité humaine occupait auparavant cet espace de désolation.

Stéphane Gilot explique avec justesse comment ce type d’image montrant "un survivant grimpant, puis perché sur des décombres", sur "un toit surnageant, seul vestige d’une inondation", nous hante, "revient sans cesse dans les médias depuis quelques années". Voilà le type d’image-choc recherchée, désirée par les médias. C’est à ce sombre constat que nous convie Gilot. Comme l’écrit le philosophe Jacques Rancière dans son formidable livre Le Spectateur émancipé, la question n’est pas de savoir si les médias ont le droit de montrer de telles catastrophes, mais plutôt de savoir quel "sens commun", quelle conscience sociale, quels discours ou à l’inverse quelles instrumentalisations sont développés à partir de ces images. Car le problème avec beaucoup de ces images de catastrophe est qu’elles nous confrontent au fait que notre époque est à nouveau dominée par la peur, une peur utilisée, récupérée, par bien des gouvernements et des médias (cela fait vendre de la copie et fait grimper les cotes d’écoute). Et puis, il faudrait aussi s’interroger profondément sur le peu de place que nous donnons à la parole des victimes, qui sont la plupart du temps montrées de loin et dont on ne parle plus quelques semaines après la catastrophe qui a détruit leur vie. La lenteur de nos gouvernements dans les procédures d’accueil de réfugiés haïtiens au pays nous a récemment montré comment il y a tout un écart entre la représentation d’une catastrophe et l’éveil des consciences…

Voilà une oeuvre qui nous aide à réfléchir sur notre société. Gilot aurait peut-être pu pousser son idée encore plus loin, en s’attaquant à des murs de la galerie, en inscrivant encore plus nettement dans la "chair" de cet espace les marques de la catastrophe. Mais, en même temps, l’opposition entre cette structure de bois démantelée et cette galerie en bon état permet de comprendre que les représentations de la catastrophe sont toujours un peu à distance.

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