Emmanuelle Léonard : L'image policée
Arts visuels

Emmanuelle Léonard : L’image policée

Emmanuelle Léonard poursuit son travail de photographie sociale, interrogeant les liens entre image et espace public. Enquête.

La Galerie Donald Browne est occupée par une série d’images photo et vidéo de policiers… Serait-ce le signe qu’Emmanuelle Léonard (l’artiste responsable de cette "descente") a décidé de glorifier le représentant de l’ordre, son travail et sa mission sociale? L’agent de police serait-il devenu le nouveau héros postmoderne? Ou, au contraire, le policier qui surveille serait-il devenu l’objet d’une surveillance accrue? Ou serait-ce plutôt que l’image du policier est devenue le point focal d’une réflexion sur l’image et son contrôle?

Cela fait déjà quelque temps que Léonard enquête sur l’univers de la police. Quelques faits.

En 2008, déjà chez Donald Browne, elle avait intégré dans son expo Annonciation des images de deux prisons pour femmes au Québec (Joliette et Tanguay). En 2007, dans Une sale affaire, chez Optica, elle s’était approprié le code visuel des images prises par les policiers qui documentent les scènes de crimes. En 2005, au Musée d’art contemporain, dans le cadre de Territoires urbains, elle avait épié et filmé (grâce à une caméra cachée dans un chapeau de cow-boy) des agents de police et des gardiens de sécurité à Mexico… Léonard traque son sujet et poursuit son enquête comme un fin limier.

Les limites de l’image

Ces jours-ci, dans Police, Léonard poursuit son investigation avec trois nouvelles oeuvres.

Dans un premier temps, dans Les Citoyens, manifestation, 15 mars 2009, elle nous montre en gros plan des portraits des policiers de l’escouade anti-émeute lors d’une manifestation contre la brutalité policière. Alors que depuis quelques années, d’importantes restrictions légales ont été imposées quant à la possibilité de prendre des photos d’individus dans la rue, cette photographe n’a pas eu de problème à tirer le portrait de ces divers agents. Lors des manifestations, nos sociétés semblent avoir parfaitement accepté que l’on puisse prendre des photos des citoyens qui y participent… Et le corps du policier incarne du coup, paradoxalement, encore un des derniers refuges de la liberté de l’image dans la sphère publique ou, comme le dit l’artiste, "de ce qui reste de l’espace public".

Dans un deuxième temps, dans une vidéo intitulée La Motivation, Léonard est allée interviewer sept élèves dans la ville de Tampere, à l’école de police de Finlande. Ce qui est surprenant, c’est que ces étudiants ne parlent pas vraiment de leurs motivations profondes et personnelles. Ils semblent parler de l’emploi de policier comme s’ils passaient une entrevue pour ce travail, en ayant bien intériorisé ce qu’il faut dire ou ne pas dire. Comme elle l’explique, Léonard traite ici du "langage policé", du fait que dans la représentation de nous-même (que nous soyons policier ou pas), nous mettons souvent en scène ce que notre milieu souhaite nous voir dire et incarner.

Ce propos se trouve appuyé par une troisième oeuvre, Homicide. Léonard nous y présente une série de 44 images d’archives prises par des policiers lors d’un meurtre dans une prison en 1997 et scannées récemment par l’artiste. Ces images qui obéissent aussi à un certain nombre de règles (pour être admissibles en cour) soutiennent l’idée développée par Léonard: les images, les représentations en général, ainsi que les êtres dont elles témoignent, sont englués dans des contraintes sociales qui dépassent le monde du visible. Et ces contraintes ne sont pas en train de diminuer.

À voir si vous aimez /
La série de gardiens de sécurité (dans la série Private Property et Access Denied) de Thomas Kneubühler