Cooke-Sasseville : L’innocence dévastatrice
Le duo d’artistes de Québec Cooke-Sasseville en est aux derniers préparatifs de Mourir enfin, une installation à double tranchant, et donc à l’image des créateurs, qui sera présentée à la Manif d’art 5. Entrevue.
Par un bel après-midi d’avril, nous nous rendons à l’atelier de deux enfants terribles de l’art contemporain, Jean-François Cooke et Pierre Sasseville. Ces deux artistes réputés, diplômés de l’École des arts visuels, travaillent maintenant à Québec depuis une dizaine d’années. Leur spécialité: l’installation. Invité à nous asseoir tout près de Connardo – le seul chat de toute l’histoire qui ne retombe jamais sur ses pattes -, nous entamons le dialogue. Les premières questions s’imposent d’elles-mêmes: "Pourquoi? Sinon, pourquoi?"
"Excellentes questions! Mais on va plutôt décrire l’oeuvre qui sera présentée à la Manif d’art", répond Cooke avec sang-froid en poursuivant: "Dans une salle complètement noire, un podium tourne; ou disons plutôt une pastille rotative. Clairement, c’est un petit podium "rotant" sur lequel sont disposés trois mannequins d’enfants sous un projecteur. Sur leur tête, un chapeau à hélices affûtées par un coutelier fou tourne lui aussi. Dans leurs mains, des lampes de poche éclairent le lieu tout autour d’eux comme des gyrophares, alors que par terre gisent des cadavres de corbeaux décapités."
Comme nous l’expliquent les compères, cette installation est une allégorie sur la responsabilité que l’on peut avoir, même de façon involontaire, envers certains drames, envers les catastrophes – thématique de cette cinquième Manif d’art. Une responsabilité dont nous ne sommes pas toujours conscients. "On rit d’un phénomène, mais on veut le mener à l’universel par le personnel et le quotidien, non pas comme dans un art engagé à proprement parler", ajoutent-ils.
Pause dans l’entrevue pour installer en équilibre précaire une corde à linge pour une dame âgée du voisinage et, par extension, pour divertir Connardo. Puis, Cooke ou Sasseville reprend: "C’est un travail narratif, plus proche de ce qu’on est habitués de faire, avec une valeur hautement symbolique. On voulait un endroit clos comme un lieu de culte, un lourd lieu de recueillement avec une atmosphère chargée comme celle des camps de concentration. Ces enfants-là ont tout de même commis une bourde légendaire sans s’en rendre compte… ou presque."
DE L’OR A L’ART
Sujet d’actualité et primordial pour la création de telles pièces, nous nous sommes ensuite penchés sur des questions budgétaires: "Cooke-Sasseville ou Sasseville-Cooke, dites-nous, quelle place donnez-vous à l’argent?" En choeur: "Étrangement, de plus en plus, on en veut. L’argent a tendance à devenir plus important pour créer. Bien sûr, il faut payer son appart, sa bouffe… Cette année, c’est marquant: comme on vit maintenant uniquement de ce que l’on fait, on s’est organisés comme une entreprise, une société. On se verse même des salaires. La seule chose, c’est qu’on réinvestit tout dans nos projets d’art: on veut que Cooke-Sasseville soit viable."
Puis, une révélation fracassante du duo: "Ici, à l’atelier, on était plus une shop. On vient de vendre le tout, et maintenant, on a un genre de bureau où on va déménager. En fait, de plus en plus, on donne des parties à contrat. Avant, on bizounait, et à cause de ça on a été obligés de jeter certaines oeuvres qui se conservaient mal. Maintenant, on fait du développement durable [avec humour]. Comme les idées qu’on a vont maintenant au-delà de nos savoir-faire, logiquement, on délègue à d’autres. Ça nous laisse plus de temps pour créer et orchestrer, pour pousser le plus loin qu’on peut la qualité des oeuvres." Et quoi? Les grands maîtres de la Renaissance et du baroque, les architectes et les compositeurs n’ont jamais fait autrement… "On voulait aussi s’intégrer au marché, sans se prostituer, et donc on entre en galerie privée, avec une suite de muffins. Un de ceux-ci est coulé dans l’or et l’argent purs et serti de pierres précieuses. Or, notre proposition est une critique du marché de l’art, comme une ironie sur l’idée de la valeur refuge. C’est un investissement du retour sur notre art: on a tout misé là-dessus. Mais il faut dire que la provenance de l’argent [ndlr: la vente de l’atelier] change toute la donne. On n’aurait jamais fait ça avec l’argent d’une bourse par exemple. On mise sur nous-mêmes et sur l’art au lieu de faire des placements", commentent finalement les acolytes.
"D’ailleurs, la fortune critique du petit gâteau est déjà importante", conclut Connardo, qui nous sourit en s’effaçant, avec quelque chose du chat du Cheshire évadé d’Alice au pays des merveilles.