Isabelle Hayeur : Je me souviens!
Arts visuels

Isabelle Hayeur : Je me souviens!

Dans L’Envers du décor, Isabelle Hayeur nous convie à réfléchir sur notre mémoire collective.

Le monde en ruine. Voilà ce que montre Isabelle Hayeur dans ses montages photo. Mais ses images n’exhibent pas les vestiges d’Herculanum ou de Pompéi, de la Nouvelle-Orléans après Katrina (comme le faisait récemment Robert Polidori au MAC) ou de Port-au-Prince après le tremblement de terre…

La première salle de l’expo, intitulée L’Envers du décor, montre la ville de Québec et en particulier les restes de cette église qui accueillait encore récemment les visiteurs arrivant de l’est par l’autoroute. L’église Saint-Vincent-de-Paul (finalement détruite en février dernier) est ici un symbole de notre difficulté à travailler notre histoire. Après un incendie, les restes (dont la façade) de cette église construite au 19e siècle furent intégrés dans un nouveau bâtiment en 1950, puis le tout fut presque entièrement démoli sans permis par un promoteur immobilier, et les débris, investis par des graffiteurs…

Dans ces images, Hayeur semble parler de notre difficulté à protéger nos bâtiments et l’histoire qui s’y rattache. Nous avons beaucoup détruit et jeté. L’incurie du gouvernement Harper dans les délais de reconstruction à l’identique du Manège militaire nous montre toute l’importance que nous accordons à notre passé. De plus, en présentant cette façade que certains voulaient préserver, Hayeur souligne comment nous effectuons souvent une conservation d’apparence et pas un travail de mémoire plus profond. Mais elle va plus loin. Lorsqu’elle place par collage cette église sur la place Royale à Québec, elle nous pousse à réfléchir au type de patrimoine que nous voulons. Nous préférons des bâtiments proprets, "disneyifiés", pétrifiés dans une certaine image idéalisée du passé, plutôt qu’un bâtiment ayant une histoire, des histoires, et que les citoyens se sont approprié… "On cherche souvent à mettre en lumière une tranche de l’Histoire au détriment des faits locaux plus populaires ou plus récents", écrit avec justesse l’artiste. Et elle dit ensuite combien le "patrimoine est contrôlé par le tourisme et les commerçants".

Dans la vidéo Losing Ground, l’artiste enfonce le clou. Elle montre que nous laissons de vieux bâtiments à l’abandon, mais que, paradoxalement, dans bien des quartiers (comme le DIX30), les maisons neuves prennent des apparences de châteaux anciens.

Voici une oeuvre intelligente, certes un peu trop didactique, mais qui fait intervenir un phénomène inquiétant. Mes étudiants de cégep ne connaissent ni Michel Chartrand ni Hubert Aquin, mais ont bien sûr entendu parler de Bill Gates et d’Albert Camus… Nous ne transmettons pas notre histoire (et surtout pas celle plus prenante des intellectuels que nous avons eus). Et le peu que nous possédons est bien fragile.

À voir si vous aimez /
Melvin Charney