Diana Thorneycroft : Au-delà de l’image
Diana Thorneycroft, dont l’exposition Awkward and Atrocious ouvre ces jours-ci à la Galerie d’art de l’Université Carleton, discute de l’esprit contestataire qui sous-tend son travail.
En avril dernier, le bulletin régional de Radio-Canada créait tout un tollé sur le contenu d’une brochure promotionnelle du Théâtre français du Centre national des Arts visant à faire connaître sa programmation 2010-2011. Illustrant l’objet contesté, les photographies de l’artiste manitobaine Diana Thorneycroft ont suscité une forte réaction, ne cadrant pas avec le semblant de bon goût habituellement préconisé dans une campagne de promotion. "Une grande partie de la population croit que les artistes visuels devraient seulement produire des oeuvres plaisantes à regarder", note la principale intéressée. "Devant ces images qui dérangent, une réaction négative est compréhensible. Mais j’aimerais bien que ces individus s’arrêtent et se demandent: Pourquoi? Pourquoi suis-je en colère, et d’où provient ce sentiment?"
Certains ont été indignés, notamment, par des épreuves présentant une figurine ensanglantée de Wayne Gretzky, ou des poupées miniatures dans un paysage hivernal, la langue collée sur le mât d’un drapeau canadien. Avec étonnement, l’interviewée constate que les gens adoptant une telle réaction semblent accepter la brutalité plus facilement lorsque cette dernière apparaît dans les films ou à la télévision. "Peut-être parce qu’une image fixe reste devant l’observateur plus longtemps et qu’elle pénètre la pensée de manière plus profonde…" avance cette dernière.
Certaines des épreuves controversées ont déjà été montrées à la Galerie de l’École d’art d’Ottawa. "Mon exposition The Canadiana Martyrdom Series a été bien reçue ici", précise l’artiste de Winnipeg. "Mais l’oeuvre The Martyrdom of St. Anne, qui montre une poupée d’Anne de la maison aux pignons verts avec une assiette portant ses seins mutilés, s’est méritée une attention particulière de la part de CBC News à l’Île-du-Prince-Édouard. Sur leur site Web, les réactions ont fusé de partout."
Celle qui s’est fait remarquer en 1999 pour son installation Monstrance (dans laquelle des carcasses de lapin enveloppaient des oeuvres d’art) indique qu’avec ce programme, l’équipe du Théâtre français et son directeur, Wajdi Mouawad, poursuivaient un but admirable: l’omission volontaire d’une stratégie publicitaire traditionnelle "laisse supposer que le CNA voit ses abonnés comme des êtres intelligents, capables de réfléchir par eux-mêmes".
Dans cette optique, les deux séries d’images qu’elle exposera à l’Université Carleton proposent aux visiteurs, d’une part, une dénonciation des "atrocités vécues de façon historique par certains citoyens vulnérables" (comme les prostituées de Robert Pickton ou les orphelins de Mount Cashel, à Terre-Neuve), et de l’autre, une exploration impertinente sur l’identité canadienne. À travers ces photographies, les protagonistes, des poupées et des figurines, lui servent à "remplacer l’entité humaine" et lui permettent d’"aborder des sujets difficiles sans être totalement obnubilée". Elle ajoute: "Les poupées sont associées au jeu. Le spectateur qui observe mes clichés comprend qu’il s’agit bien de mises en scène, mais l’émotion qui suit est très réelle. Avec ce subterfuge, je souhaite que le témoin s’identifie simultanément aux victimes et aux prédateurs, et qu’il s’interroge entre autres sur le côté plus obscur des propensions humaines."
Ainsi, son exposition Awkward and Atrocious promet de défier la représentation généralement glorifiée du Canada avec toute la lucidité dont l’artiste a fait preuve jusqu’à maintenant. Un rendez-vous à ne pas manquer.
Dans le cadre des Rencontres du midi du Théâtre français, Wajdi Mouawad s’entretiendra le 14 mai avec les artistes Sophie Jodoin et Diana Thorneycroft. Entrée libre, à la Quatrième Salle du CNA.
À voir si vous aimez / Maurizio Cattelan, Paul McCarthy