Elena Willis : Image-enquête
Elena Willis fait plus que de l’appropriation d’images dominantes produites par la publicité ou le design. Elle sait aussi nous plonger dans un univers visuel radical.
Nous avions remarqué son travail à l’automne 2006 dans le cadre de l’exposition Plan large à la Fonderie Darling. Placée pas très loin des renommés frères Sanchez, elle avait installé une immense image sur une sorte de panneau publicitaire. Elle y montrait un cliché très léché d’une femme engloutie par un torrent d’eau. Comme bien des artistes appropriationnistes postmodernes, elle s’était donc immiscée dans l’espace public en empruntant les lieux et les codes des images dominantes afin de les détourner de leur fonction d’usage. Voilà une position importante, essentielle devrions-nous dire, car elle ne laisse pas tout l’espace commun au commerce, à ses images souvent faciles et réconfortantes. L’espace public se doit de proposer autre chose que des expériences contrôlées.
Parfois, Elena Willis poursuit sa recherche visuelle avec des images qui évoquent la pub et tentent à la fois de détourner celle-ci et une certaine esthétique léchée de leur fonction d’usage. C’est le cas de I Saw Him Sitting There, oeuvre de 2007 presque jolie qui pourrait illustrer un conte pour enfants. Un soupçon d’étrangeté dans le sujet (un homme ayant à la place de la tête une série de briques) et surtout dans la manière de faire (un clair-obscur dramatique) permettait néanmoins de croire à un certain détournement.
Mais plus son travail se développe, plus les photos de Willis gagnent en panache et s’éloignent de la très prenante et engluante esthétique dominante. C’est le cas de plusieurs photos récentes presque entièrement noires, presque abstraites, où le spectateur devra scruter les ombres et les formes morcelées pour découvrir ce qu’elles recèlent. Le visiteur remarquera en particulier A Long Chain of Tangential Thoughts. Ce qui de loin ressemble à des éclats de lumière dans le noir se révèle être des individus formant une longue chaîne humaine dans la nuit. Que font-ils? Où vont-ils? Que cherchent-ils? L’énigme est totale, mais l’ambiance, réussie, est très angoissante.
Énigmatique est aussi le cas de Ensuring Uniformity où, dans la pénombre, une série de voitures sont placées à la queue leu leu. Elles évoquent, sans le décrire, un de ces embouteillages vers les banlieues où les individus dans des véhicules très similaires se rendent tous dans des maisons semblables pour y consommer les mêmes produits… Puis, dans Illusion of Unanimity, Willis travaille sur les façons par lesquelles nos sociétés tentent de nous contrôler. Noam Chomsky et le "manufacturing consent" ne sont pas très loin…
Une oeuvre qui n’est pas exempte d’une certaine littéralité. C’est le cas de la photo intitulé Oil, cliché digne d’un monochrome et où lentement le regardeur verra émerger des formes humaines immergées dans un liquide. Simple thalassothérapie? La couleur du liquide, sa texture et le titre de l’oeuvre (un peu facile) nous invitent à une symbolique intéressante bien qu’un peu trop claire: l’être moderne qui croit que sa vie baigne dans l’huile risque de périr dans l’usage incontrôlé qu’il fait des produits pétroliers.
Une oeuvre à surveiller.
À voir si vous aimez /
Nicolas Baier