Jenny Holzer : Engagez-vous!
Dès le 30 juin, Jenny Holzer sera à la Fondation DHC/ART avec une imposante exposition traitant entre autres de la guerre d’Irak. Entrevue avec une artiste majeure.
Dans un milieu de l’art où les riches collectionneurs dictent leurs goûts, l’expression semblera dépassée: Jenny Holzer est une artiste engagée. Elle incarne cette position depuis plus de 30 ans, s’étant fait connaître par ses truismes et aphorismes, énonçant des vérités profondes, affichés dans des espaces publics tels que Time Square: "Money Creates Taste", "Protect Me From What I Want"… C’est avec une femme très intelligente, humaine et drôle que nous discutons.
Voir: Il semble plus difficile de parler de féminisme qu’il y a quelques décennies.
Jenny Holzer: "Cela ne devrait pas être plus difficile… Les femmes ne devraient pas avoir les mêmes droits? Mais je comprends votre point de vue. Cela semble presque rétro. Les femmes ont fait des progrès, mais dans certains domaines, il est presque devenu embarrassant d’essayer de changer les choses."
Vous considérez-vous comme féministe?
"Oui, avec joie et sans honte. [rire]"
Les jeunes filles n’osent plus se dire féministes de peur d’être perçues comme des femmes agressives…
"Elles ne croient pas que les femmes devraient avoir des droits? Malheur à la femme passive! [rire]"
Dans le milieu des arts, les choses ont-elles changé pour les femmes?
"Globalement, cela va mieux que lorsque j’ai débuté. C’est encourageant. Mais d’un autre côté, les femmes sont minoritaires dans les grandes expos collectives. Et leur travail n’est pas vendu aussi cher que celui des hommes, et ce, même dans les ventes aux enchères. C’est exaspérant."
De nos jours, nous parlons plus de valeur économique que de valeur symbolique. Que pensez-vous de cela?
"Le marché a toujours été important. Mais il l’est encore plus maintenant. Quel dommage! Surtout pour les femmes… Dans un article récent, un journaliste, qui trouvait cela absurde, se demandait pourquoi les oeuvres des femmes se vendent moins cher. Il nous prenait, moi et Barbara Kruger, comme exemples. Il comparait nos résultats de vente à ceux de très bons artistes masculins, mais n’ayant pas notre C.V. Le prix relativement bas de mes oeuvres est peut-être lié à une question d’identité sexuelle. Mais cela est peut-être dû aux sujets difficiles que je choisis ainsi qu’aux matériaux non traditionnels que j’utilise. Peut-être que tout simplement les gens détestent mon travail… [rire]"
Est-ce toujours facile de faire de l’art public?
"Ces projets peuvent être les plus grands et les plus beaux défis, quand ils marchent bien, en tout cas pour moi qui adore travailler dans des espaces publics. Mais il faut une bonne équipe et un groupe de gens très motivés qui appuient le projet pour que celui-ci se réalise comme il se doit."
Vous avez commencé votre oeuvre dans la rue, en y affichant des posters. Vous avez été arrêtée?
"Une seule fois, on m’a emmenée dans la voiture des policiers, mais ils ont juste discuté avec moi. J’ai toujours placé mes affiches là où il y en avait déjà… C’est peut-être une forme d’éthique. À l’époque, Manhattan était plus "sauvage" et j’étais le dernier de leurs problèmes."
Vous attendez quelles réactions du public?
"Je veux soumettre à leur attention ce que je considère comme des sujets importants. Mais je ne veux pas changer les gens. C’est à eux de décider."