Jean-Robert Drouillard : Après la tempête
Arts visuels

Jean-Robert Drouillard : Après la tempête

Censuré l’automne passé, exposé chez Lacerte ce printemps et choisi pour participer au Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul cet été, Jean-Robert Drouillard est actuellement le sculpteur le plus en vue à Québec.

Plusieurs connaissent déjà la légende du jeune garçon à tête de renard qui devait être coulé dans le bronze pour être installé dans un parc de l’arrondissement Vanier. Cette sculpture de Jean-Robert Drouillard, déclarée gagnante à deux reprises par un jury à la suite d’un concours organisé par la Ville de Québec, avait été refusée par un élu au goût malheureux qui la trouvait, curieusement, inconvenante. Ayant pourtant suscité un fort engouement populaire, cette oeuvre ne sera jamais réalisée dans notre ville où l’art et la démocratie ne semblent plus faire bon ménage, et ce, depuis un bon moment.

"Cette histoire risque bien de me suivre toute ma vie", nous confiait l’artiste convoqué en entrevue. Ce malheur aura tout de même eu son lot de consolations: en plus de faire connaître Drouillard dans de nombreux médias, il lui a permis de se tailler une place de choix dans le milieu des arts visuels à Québec. À mesure que ce sombre passé s’estompe, l’avenir s’annonce plus brillant pour Drouillard, tel qu’il nous le confirmait par sa plus récente exposition chez Lacerte, déjà décrite dans nos pages.

D’ailleurs, il s’agit du seul créateur choisi par voie de soumission pour figurer au Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul cette année. Interrogé sur les pièces qu’il prévoit y réaliser, il semble que cet enseignant à la Maison des métiers d’art de Québec soit arrivé à un point tournant de sa démarche, qu’il considère lui-même comme intuitive. "J’essaie de demeurer le plus instinctif possible dans mon travail", précise-t-il alors qu’il nous explique à quel point il est séduit par le côté viscéral du combat avec la matière.

Sa production annoncée pour le symposium de Baie-Saint-Paul devrait étonner ses admirateurs, habitués à ses sculptures entièrement réalisées en bois polychrome. Alors que celles-ci allient normalement des corps humains à des têtes et à des membres d’animaux de la forêt boréale, une rupture s’annonce pour les oeuvres à venir: au lieu d’être taillés dans le bois, les crânes seront faits d’ossements d’ours noirs véritables fixés sur un corps de bois. Bien que l’artiste ait décidé de poursuivre l’idée d’hybridation entre l’homme et l’animal, la fusion sera maintenant plus agressive, se rapprochant de la greffe plutôt que de la mutation.

Autre point d’importance, Drouillard nous expliquait que pour lui, la cruciale question du statut artiste/artisan est maintenant devenue un problème quotidien. En effet, il trouve encore délicat de se qualifier d’artiste, préférant toujours le terme artisan. Cette dynamique anime actuellement son travail et sa réflexion. "Prenons comme exemple les oeuvres des sculpteurs Bourgault de Saint-Jean-Port-Joli; pour moi, mes oeuvres sont vraiment liées à ce travail plus populaire. Par contre, surtout avec mes nouvelles sculptures, je remarque un intérêt de la part des centres d’artistes. Ce qui fait que bientôt, je serai certainement appelé à préciser la mécanique de ma démarche."

Le malaise est évident pour quiconque a déjà créé de manière instinctive: comment définir un travail qui est issu de l’expérience sensible et se situe donc, en grande partie, hors du langage? Poser la question, c’est aussi y répondre. Souvent, le choix de tel ou tel type de support (écrit, gravé, sculpté ou peint) devient l’unique façon de s’exprimer, sa matière exprime quelque chose de particulier qui constitue un langage en soi. À ce titre, Drouillard préférera toujours laisser à ses interlocuteurs le soin d’entendre ce qu’il veut dire avec ses oeuvres. Peut-être une certaine sagesse l’empêche-t-elle de chercher à surinterpréter et à conceptualiser son travail pour répondre aux logiques du marché de l’art?

En revanche, si le caractère mythologique s’affirme aussi dans son oeuvre, c’est peut-être que la littérature, première passion de Drouillard, n’est jamais loin derrière. "Au moment où j’ai été sélectionné pour figurer dans une revue avec mes nouvelles, je venais d’entrer aux métiers d’art. Je n’ai plus écrit depuis." Or, il semble que la voix de l’écrivain ayant troqué la plume pour la gouge réussit toujours à se faire entendre éloquemment par la bouche de ses personnages. Ceux-là mêmes auxquels il saura insuffler une vitalité et une authenticité peu communes, jusqu’à ce qu’ils deviennent fidèles à l’image de leur propre créateur.