Jenny Holzer : Les mots pour le dire
Jenny Holzer est une artiste engagée. Cela donne-t-il une création didactique, moralisatrice et ennuyante? Que non: l’oeuvre est intelligente, captivante et – phénomène rare – de gauche.
Faire une oeuvre engagée socialement et politiquement n’est pas chose facile. Ce type d’art tombe parfois dans le littéral, dans l’illustration ou simplement le journalisme. C’est le cas des collages de Martha Rosler… Tous les artistes engagés ne sont pas Alfredo Jaar, les Guerrilla Girls ou Jenny Holzer.
Si cette dernière réussit si souvent à éviter les pièges inhérents au genre, c’est qu’elle sait travailler formellement son sujet pour que le propos véhiculé soit amplifié par le dispositif visuel, qui lui confère toujours une autonomie, une complexité dépassant le sujet abordé. Cela est vrai en particulier dans les deux pièces Monument et For Chicago. Nous vous conseillons d’ailleurs de commencer par ces deux oeuvres dans le bâtiment annexe pour ensuite poursuivre avec les pièces de plus petit format et plus intimistes (placées dans les insolites, petites et tarabiscotées salles du bâtiment central de la fondation), dont certaines justement sont plus littérales.
For Chicago est le chef-d’oeuvre de l’expo, anthologie de toutes les phrases-textes écrites par Holzer de 1977 (avec les Truisms) à 2001. Ces textes défilent sur des rangées de panneaux lumineux, composés de diodes électroluminescentes, posés sur le sol. Cela évoque les panneaux où s’enchaînent les cotes de la Bourse ou les nouvelles sur les chaînes de télé spécialisées. Holzer s’approprie et détourne ces codes visuels pour en faire une oeuvre hypnotisante avec des textes qui interrogent nos vies et nos sociétés (Money creates taste, Everyone’s work is equally important, Politics is used for personal gain…).
Cette artiste sait nous interpeller à propos de sujets difficiles – la violence, la guerre en Irak, la censure, la torture pratiquée par le gouvernement des États-Unis – en nous confrontant à des formes visuelles riches. Une oeuvre de gauche, ce qui est de plus en plus rare à notre époque où dominent les artistes décorateurs et où les citoyens votent de plus en plus et sans honte pour l’extrême droite ou la droite très conservatrice.
Profitons de cette expo pour réclamer une oeuvre de Jenny Holzer dans l’espace public de Montréal. Son travail exposé à la fondation DHC/ART est à la fois tellement intelligent et accessible qu’il serait parfait dans le cadre de notre ville.
À voir si vous aimez /
Alfredo Jaar