Jacques Bilodeau : Corps accueilli
Intrigante pour les amoureux d’architecture, de design comme d’art actuel, l’oeuvre hybride de Jacques Bilodeau ne manque pas d’attirer l’attention. Discussion autour et à l’intérieur de la sculpture avec l’artiste.
Étudiée à l’Université de Montréal, la recherche expérimentale de Jacques Bilodeau en architecture charme autant que ses Transformables, objets-sculptures de format imposant. La commissaire de TraficART, Nicole Gingras, l’a invité à présenter Faire son trou, une installation constituée d’immenses morceaux de feutre industriel. Chacun a été cousu à la main pour créer des sortes de sacs que l’artiste suspend au plafond par des câbles. Les visiteurs sont encouragés à y pénétrer pour un moment d’isolement. Ils peuvent à leur guise s’élever au-dessus du sol en actionnant un des treuils électriques. Questionné sur sa démarche sculpturale, Bilodeau reste plutôt modeste: "Mon travail artistique, pour moi, il est naïf. Ce sont des processus psychologiques qui se font tranquillement. Je viens de l’architecture. Je forme des espèces de carapaces pour me protéger. C’est un système que je répète constamment, des abris que je reconstruis à l’intérieur d’un abri." Il ajoute, sourire en coin, qu’il est conscient de ne pas avoir réellement besoin de ces cellules de protection. Mais, à moins d’être claustrophobe, l’apaisement que procure une simple paroi entre nous et l’infinitude extérieure n’est-il pas fondamental? Le feutre, en prime, absorbe les sons, ce qui augmente la qualité de l’enveloppement.
Durant une vingtaine d’années à compter de 1980, Jacques Bilodeau réalise des projets personnels de transformation architecturale. En majeure partie, il s’agit de bâtiments industriels qu’il convertit en ateliers-résidences où vie domestique et travail fusionnent. Ces habitacles ont en commun des lignes droites, des surfaces planes, une aura très masculine, une certaine austérité et une épuration affirmée. Surtout, les sols deviennent le mobilier ainsi que l’espace pour vivre. "La protection du corps était là, même dans la rigidité", souligne l’artiste pour rappeler son leitmotiv. Ses travaux d’architecture ont, si l’on peut dire, un caractère osseux, tandis que les oeuvres produites depuis 2000 évoquent davantage la chair. Lorsque nous lui faisons ce commentaire subjectif, il remarque: "Je me suis rapproché du corps, de mon corps. Le côté organique, dans mes sculptures, traduit ce rapprochement. C’est notre corps qui décide de bien des affaires dans la vie!" Habitation ou installation, ses conceptions favorisent un état "d’être-auprès-de-soi", aurait peut-être dit Heidegger…
Au sujet du cheminement qui l’a conduit à produire des oeuvres s’inscrivant dans l’art actuel, Bilodeau raconte: "Je suis venu à ça un peu par accident. Joyce Yahouda m’a demandé de faire une installation pour la présenter dans sa galerie à Montréal. Ça a été le déclencheur pour les Transformables." C’est de cette série qu’est née l’oeuvre monumentale accrochée dans le Hangar du Vieux-Port jusqu’au 3 octobre. Le lieu bien connu des habitants de Saguenay s’est métamorphosé, grâce à des efforts remarquables, en une salle d’exposition au potentiel gigantesque. Les pièces en feutre attirent par leurs formes inusitées, le volume important qu’elles remplissent et les manettes jaunes qui pendent autour. Dans notre monde, manette égale souvent jeu. En les manipulant, le visiteur contrôle la montée ou la descente des sculptures et du coup leur aspect. On a pu mesurer l’efficacité du dispositif lors du vernissage, alors que l’excitation générale le mettait à rude épreuve!
Conseils d’utilisation: 1- Chercher une ouverture. 2- S’introduire. 3- S’installer confortablement. 4- Actionner le mécanisme à l’aide de la manette (ou demander à un ami de le faire). 5- Ajuster la position de son corps. 6- Vivre un moment avec soi-même. En réalité, l’exercice s’avère moins confortable qu’il n’y paraît, puisque les parois se resserrent sur soi. "Ton corps est obligé de s’ajuster. Dans ce sens, ça peut rappeler le foetus dans le corps d’une femme. La femme bouge, le foetus réagit à l’intérieur", commente l’artiste. Certains vivent un fantasme érotique, d’autres une renaissance ou un souvenir intra-utérin. On peut y voir de grandes bêtes au caractère très doux, des baleines qui avalent comme une caresse un peu rude. L’expérience diffère d’un individu à l’autre. Pour finir, Bilodeau fait planer le mystère sur sa recherche en cours: "C’est comme des attelages en cuir dans lesquels on peut s’accrocher et qui peuvent isoler des parties du corps."
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