Karen Trask : Toucher (par) les mots
Arts visuels

Karen Trask : Toucher (par) les mots

Karen Trask aime les mots, et ils le lui rendent bien. Sous ses doigts de fée, ils deviennent des oeuvres qui parlent de nous qui les utilisons.

Karen Trask achèvera bientôt son installation-performance Cette nuit, défaire présentée au Hangar du Vieux-Port dans le cadre de TraficART. Du 22 au 26 septembre, les visiteurs pourront saisir l’occasion de voir l’artiste à l’ouvrage. Dans sa recherche, c’est la matérialisation des mots dans un rapport au toucher qui apparaît comme leitmotiv. Le plus intéressant, c’est que le sujet de ses oeuvres (les mots, le langage, l’écrit) devient le matériau pour en parler. Trask confie qu’elle a toujours été fascinée par les mots, et cette fascination semble étroitement liée à l’affection. "Quand j’étais très jeune, j’écrivais de la poésie. Je pensais même devenir écrivaine. C’est la présence et l’absence, le matériel et l’immatériel de la vie qui m’intriguent. Ma mère est décédée subitement quand j’avais six ans. C’était la première année d’école pour moi. J’étais entre le toucher de ma mère et le monde des mots." L’oeuvre exposée à la biennale s’inspire du mythe de Pénélope, celle qui repoussa le désespoir en faisant et défaisant sa toile. Ici, il s’agit d’une tactique pour repousser la maladie, la mort et la peur. Une amie de l’artiste devait subir des traitements de chimiothérapie. "Mon amie m’a dit: "Je vais avoir beaucoup de temps à passer au lit. J’aimerais qu’on lise Ulysse de James Joyce ensemble"", explique-t-elle. Il fut décidé que l’amie lirait et qu’elles l’enregistreraient. C’est par la suite que l’oeuvre vit le jour. Avec un moteur de machine à coudre et un lecteur de bandes magnétiques modifié, Trask file l’enregistrement sonore. Les chaînes de la trame qu’elle tisse ensuite avec les bandes magnétiques sont formées de deux rubans entremêlés. Sur ces derniers, la même amie lit des contes à sa petite fille. Devant la montagne de bandes qu’il lui reste à démêler et à faire jouer, l’artiste remarque: "C’est de l’ordre des contes de fées, ce désir d’entreprendre ce qui est impossible." Transformer la paille en or, trier des lentilles dans la cendre, faire revivre une histoire en la filant et en la tissant. Une oeuvre émouvante d’une richesse humaine authentique.

À voir si vous aimez /
Ulysse de James Joyce, les livres audio, le tissage