Laurent Gagnon : Nourrir le sens
Le travail de Laurent Gagnon est une déconstruction des mécanismes du marketing. Une oeuvre de résistance.
Certains artistes poursuivent le projet artistique des avant-gardes visant à déconstruire le sens des objets usuels par le détournement publicitaire. Laurent Gagnon est un de ceux qui y parviennent avec une belle efficacité visuelle et un discours intéressant. Il suffit de lire ces quelques lignes du communiqué de sa plus récente exposition Alimenter la réflexion pour s’en convaincre: "La réappropriation, par la manipulation, d’un pur produit publicitaire […] à des fins artistiques déplace notre cadre de référence de tous les jours. C’est notre quotidien dans ce qu’il a de plus banal et de moins héroïque, conditionné par tant d’idées reçues et tenaces, qui est ébranlé. Ce prélèvement inattendu d’un élément du réel apparemment anodin tire profit du pouvoir médiatique […] pour mettre en lumière les mécanismes du conditionnement social promu par la logique et les motivations du marketing." Avouez qu’il n’en faut pas plus pour nous mettre l’eau à la bouche…
Dans sa suite de sérigraphies et d’interventions in situ, Gagnon a accumulé puis agencé des autocollants et des étiquettes publicitaires prélevés sur des fruits et une multitude d’objets usuels. Fait admirable, l’ordonnancement des éléments et l’équilibre homogène des couleurs permettent d’éviter l’impression de désordre dans ce travail savamment contrôlé jusque dans les moindres détails.
De fait, la complexité des compositions collées sur des livres de comptes ou directement sur les cimaises se renforce par l’addition de chaque fragment. Cela, pour créer une heureuse poésie visuelle où humour et tragédie se retrouvent adjoints à des articles sur l’actualité. Cette incursion critique et poétique dans les méandres du marketing de présentation rappelle d’ailleurs les travaux du futuriste italien Soffici (dans son livre intitulé BÏF§ZF+18).
Une seule chose concernant la présentation en galerie: les cimaises sont très très près des vitres, de façon à pouvoir être vues de l’extérieur. Ce choix délibéré oblige le visiteur à longer les fenêtres sans possibilité de recul, ce qui ne sert pas toujours les oeuvres: celles-ci auraient parfois besoin de plus d’espace pour être appréciées avec une vue d’ensemble.
ET UNE FOIS LA REFLEXION ALIMENTEE…
Dix ans après la parution du livre No Logo de Naomi Klein et la vogue créée par le groupe Adbusters, le mouvement altermondialiste semble avoir été décimé. On s’y attendait, les ravages des pouvoirs médiatiques de droite et des sbires de la raison instrumentale auront eu raison de l’espoir révolutionnaire qui cherchait à s’opposer à la marchandisation du monde. Des centaines de combats plus tard – et des milliers de tie wrap, de bombes lacrymogènes et d’arrestations sommaires -, quel refuge reste-t-il pour ceux qui ne croient pas à la langue de bois du "développement durable"? Et si la subversion artistique et son propos constituaient aujourd’hui quelques-uns des derniers retranchements de la pensée libertaire?
À voir si vous aimez /
BÏF§ZF+18 d’Ardengo Soffici, No Logo de Naomi Klein, la revue Adbusters