Marc Séguin : Comme un seul homme
Le travail de Marc Séguin fait naître une ferveur hors du commun. Ce mois-ci, un documentaire qui lui est consacré prend l’affiche et il expose de nouvelles pièces chez Simon Blais. Lumière sur le phénomène.
Sourire facile, regard mobile et voix posée, un grand rouquin à casquette se tire une chaise devant moi. En ce petit matin gris, Marc Séguin est en sprint d’entrevues. Estime de ses pairs, attention du public, emballement des collectionneurs… Quand tout y est, on sait qu’on a affaire à un spécimen rare. Mais qu’est-ce qui fait courir Marc Séguin?
"Je suis peintre, c’est ma job." Il y a des pompiers qui éteignent des feux, Marc Séguin peint. Dans son grand atelier de Williamsburg à Brooklyn, entre les hipsters, les bons cafés, Matthew Barney et la foule bigarrée du coin. New York, surtout parce que c’est la capitale internationale de l’art contemporain, et parce que c’est à seulement cinq heures de voiture de sa ferme et de sa famille. Seulement cinq heures? "Oui." Et ces moments sur la route sont précieux, parce que ce sont les seuls où il n’est pas en train de faire quelque chose. Il réfléchit, il écoute de la musique.
Sa signature visuelle est aisément reconnaissable. Toujours figurative, nette, à la fois déstabilisante et d’un grand calme. Un coup de crayon impressionnant, des collisions d’idées, l’utilisation de symboles forts, la monumentalité des oeuvres, et cette étrange mécanique d’emboîtement des images: animaux empaillés intégrés à ses tableaux, terroristes en robes d’été, avions écrasés, aigle réel couvert de goudron, pattes d’oiseaux, feuilles d’or, giclées de couleurs. Et surtout, cette utilisation qu’il fait des noirs et des gris. Daltonien? Eh bien! "La couleur, je n’y comprends rien, surtout certaines. Je vois très bien les gris, par exemple, et les subtilités des variations des tons, mieux que ceux qui voient bien les couleurs. Je suis sensible à ça, c’est une compensation."
Ruines
On a noté plus d’une fois l’habileté de Séguin à tromper les prédictions et à n’être jamais où on l’attend. Chez Simon Blais, on peut voir des églises et des cathédrales détruites, squelettiques, en ruines. Des vraies, des fausses, des composées avec plusieurs images. Une série de tableaux monumentaux dessinés au fusain et avec les cendres de la mère d’un ami, qui trouvait qu’elles seraient "mieux sur des tableaux que dans une urne". La cendre s’applique à l’eau, comme l’aquarelle, et il faut dire que ces cendres sont d’un gris parfait, exceptionnel. Il s’agissait de trouver une idée pour honorer le matériau, et c’est surtout de la perte de foi que Séguin a choisi de parler dans cette exposition. Pour mémoire, sur une des toiles, une horloge pointe au bout d’un clocher, arrêtée juste à l’heure où la dame en question s’est éteinte.
Mais lui qui en a tant à dire, comment sait-il, au juste, qu’une série est terminée? "Quand je n’ai plus envie. Quand quelque chose d’autre m’emporte plus fort. Je devance ma compréhension, quand je peins. On réfléchit par des mots. Peindre fait appel à autre chose, sans les mots. Ça m’apprend beaucoup de choses sur moi." Et surtout, il y a ce moment scintillant, quand un tableau est terminé. "Parce que c’est pour ça que je vis, que je continue à faire ce que je fais: pour ces trois secondes-là."
Ruines
Du 18 septembre au 16 octobre
À la Galerie Simon Blais
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Toucher la cible
"Une histoire de gars de bois", dit Bruno Boulianne, réalisateur du portrait documentaire Bull’s Eye, un peintre à l’affût. Séguin et Boulianne se sont rencontrés dans un cours de chimie au secondaire puis se retrouvent à 40 ans. Pendant 15 mois, doucement, le cinéaste a partagé le quotidien de l’artiste: au musée, à la maison, à New York, à la chasse au fond des bois. Ce que Boulianne traque, c’est justement cet instant fabuleux où le tableau prend forme, où le gibier sortira de nulle part, où se met à exister quelque chose qui n’y était pas une seconde avant. Des silences, de la présence, et surtout l’étonnante cohérence d’un homme qui vit en adéquation avec sa vie. Inspirant.