Peter Gnass : Question de point de vue
L’oeuvre de Peter Gnass s’est élaborée sur plus de 45 ans. Cet artiste, pas assez montré au Québec, opère ces jours-ci une relecture d’oeuvres amorcées il y a plusieurs décennies. Une expo intelligente.
L’art a bien changé depuis 30 ans! C’est certainement la conclusion à laquelle vous arriverez vous aussi en voyant l’expo de Peter Gnass, à l’affiche de la Galerie [sas] ces jours-ci. Portant sur deux séries, intitulées Progressions et Projections, toutes deux amorcées dans les années 70, cette présentation vous semblera en effet très différente de ce qui se fait de nos jours.
Durant sa carrière, Gnass a développé une esthétique à la fois épurée et cérébrale, à l’opposé de ce qui se fait majoritairement aujourd’hui. Ce n’est pas que l’art intelligent ait disparu, mais il se fait bien plus séduisant, jusqu’à devenir souvent racoleur en allant trop du côté de la récupération et du détournement (pas toujours réussis, loin de là) des images dominantes (celles vues à la télé, dans des journaux…). Il fut une époque où les arts visuels étaient plus clairement radicaux et différents. C’est à cette tendance qu’appartient Gnass. Son travail pourra sembler aride au premier coup d’oeil, mais il se dévoile finalement comme un jeu visuel intelligent. Son oeuvre réfléchit à la notion de perception, mais aussi à celle de mémoire (qui joue un rôle important dans notre analyse cognitive du monde qui nous entoure).
Explorons les deux séries exposées.
Projections: déconstruire l’ordre apparent du monde
Pour sa série Projections, dans le même esprit que ce que commencera à faire quelques années plus tard le Français George Rousse, Gnass a projeté la forme d’un polygone sur différents éléments d’architecture ou de paysage. Cette forme, qui se matérialise grâce à de la peinture, de la craie ou des néons, ne devient cohérente que d’un certain point de vue. Dès que le regardeur se déplace, cette forme, cette découpe dans la chair du monde, perd de sa cohésion pour ne devenir que des fragments de lignes, des pans de couleurs… Nous pouvons voir dans ce dispositif une forme de critique de la cohérence apparente du monde et de la nécessité de changer de point de vue pour déconstruire ce semblant d’ordre, qui ne tient en fait qu’au point de vue (visuel et intellectuel) imposé aux spectateurs (et citoyens).
Progressions: reconstruire le monde par synthèse
La série Progressions, malgré une divergence dans les moyens utilisés, va néanmoins dans le même sens intellectuel que Projections. Gnass nous y montre des réseaux de lignes qui changent de direction spatiale et même de taille selon le point de vue du spectateur. À travers des dessins, des peintures, des sculptures et des photographies, Gnass nous offre une forme de relativisme perceptif du monde. Cette démonstration trouve un de ses meilleurs exemples dans l’oeuvre Progression en trois temps (1977), séquence de photographies qui, dans un même champ visuel, montrent les lignes blanches d’une route ainsi que leur reflet dans un rétroviseur. Des clichés qui nous prouvent comment le cerveau arrive à bâtir une idée logique du monde à partir de perceptions qui pourtant ne semblent pas fonctionner avec une totale cohérence.
Un catalogue signé par Christine Bernier, professeure d’histoire de l’art à l’Université de Montréal, a été publié pour cette importante occasion.
À voir si vous aimez /
George Rousse et Bill Vazan