Corine Lemieux : Vie intérieure
Avec subtilité, Corine Lemieux inscrit son travail dans la lignée de plusieurs photographes montréalais travaillant sur l’intime. Une oeuvre dans laquelle chacun pourra se projeter.
Il fut une époque où Montréal était reconnue pour ses peintres (Borduas, Pellan, Riopelle, Molinari, McEwen… ). Puis, Montréal fut aussi un endroit de sculpteurs (premier symposium de sculpture sur le mont Royal en 1964, organisé entre autres par Roussil, avec des oeuvres de Vaillancourt, Goulet, Sterbak…). Mais on n’a pas assez souligné combien Montréal a eu et continue à avoir une école photographique extrêmement forte, marquée par une variété de pratiques allant de Gabor Szilasi à Alain Paiement, en passant par Geneviève Cadieux et Geoffrey James…
Sans le vouloir, Raymonde April a elle aussi fait école avec des artistes comme Yan Giguère, Caroline Hayeur, Corine Lemieux… Elle a développé une approche très intimiste de la photo, grâce à une grande économie de moyens et en mettant en scène une forme de narrativité suspendue.
L’expo intitulée en cours de route, présentée ces jours-ci par Corine Lemieux, va dans cette voie. Le titre vient déjà souligner cette atmosphère de récit fragmenté, d’une lecture de la vie non pas comme un tout où l’on tenterait de trouver une logique, mais comme une suite de moments vécus dans leur singularité. Le moment présent y trouve une complicité avec l’instantané photo. Lemieux nous propose des images accolées les unes aux autres d’une manière étonnante sans que l’on saisisse au premier coup d’oeil les liens qui les unissent, si ce n’est le fait qu’elles mettent en scène des fragments de la vie de l’artiste (ses amis, ses amours…), moments auxquels le spectateur pourra évidemment s’identifier. Lemieux y souligne comment même l’image photo ne peut montrer la réalité des émotions intérieures; comment, en fait, il y a toujours un écart entre le monde du visible et ce que nous ressentons.
Malgré ses qualités indéniables, voici une expo moins forte que celle de la même artiste au Centre Optica en 2003. Le dispositif de présentation y était plus complexe et moins linéaire, défiant davantage la structure du récit conventionnel. Elle y évitait aussi quelques clichés, comme ces images où l’on peut lire les mots "lentement" et "fragile", qui soulignent un peu trop cette croyance en une nécessité de ralentir pour savourer la vie. L’abondance des images dans le catalogue rend mieux justice à la démarche de l’artiste et au foisonnement des expériences de nos existences.
À voir si vous aimez /
Yan Giguère et Caroline Hayeur