Bonnie Baxter / Le Voyage de Jane : Autofiction numérique
Sous les traits de Jane, Bonnie Baxter tourne le dos à la caméra, mais fait face à ses souvenirs.
Jane n’est pas un prénom vide de sens. Il évoque le côté anonyme et impersonnel de Jane Doe, ainsi que le caractère à la fois ingénu et raffiné de Jane Birkin. Pour Bonnie Baxter, Jane est cette petite fille blonde qu’on retrouvait dans les manuels scolaires aux États-Unis et au Canada anglais entre les années 1930 et 1970. Originaire de Texarkana au Texas, l’artiste ne s’est jamais reconnue dans cet artificiel modèle identitaire qui a marqué sa jeunesse, mais elle a décidé d’emprunter la blondeur de sa tignasse pour effectuer Le Voyage de Jane.
Sur chaque photo de cette exposition, Baxter ne montre pas son visage et porte une pimpante perruque. "C’est moi qui suis dans la peau de Jane, mais c’est aussi un archétype en puissance qui revisite d’anciens lieux pour découvrir comment elle a changé, comment ces endroits ont changé", résume-t-elle. Telle une autofiction, il y a beaucoup de Bonnie en Jane, mais en tournant le dos à la caméra, l’artiste permet une ouverture. "Je veux que le spectateur se mette dans la peau de Jane. La question n’est plus "Qui est Jane?", mais "Qu’est-ce qu’elle voit?", "Qu’est-ce qu’elle peut sentir?". C’est comme un rêve, un conte de fées."
Carnet de voyage
De 2006 à 2008, Bonnie Baxter s’est transformée en Jane au gré de différentes photos dans de symboliques endroits. "Il y a deux pèlerinages dans cette série. Le premier s’est fait en Europe; c’est là que j’ai commencé ma vie d’artiste. Mon mari et moi sommes retournés sur les lieux que nous avions visités en mobylette quand nous avions 20 ans. Le second, c’est après le décès soudain de ma mère en Californie. On a pris la voiture et le chien, et on a traversé les États-Unis." D’autres mises en scène se sont déroulées dans les Laurentides, région où réside l’artiste.
Grâce à différents cycles, une histoire se dégage des images numériques. "Il y a un début et une fin. C’est vraiment un voyage", confirme Baxter. Si chaque spectateur peut décider du déroulement du périple, la conclusion est suggérée par cette oeuvre où une perruque est abandonnée sur le sol. "Jane invite le monde à voyager avec elle. Chaque génération doit reconstruire Jane. C’est un éternel recommencement. Cette expo parle de la condition humaine, de l’importance d’embrasser la vie, mais il y a aussi beaucoup d’humour et d’ironie", précise Bonnie Baxter, sourire en coin.
Gravures numériques
Visuellement, Le Voyage de Jane est émotionnel, bercé par l’onirisme des souvenirs. "Cela vient des couleurs. C’est comme si la mémoire et le temps avaient déposé une couche sur les images. J’ai travaillé les couleurs avec des Prismacolor. C’était très primaire, mais j’ai pu visualiser ce que je voulais."
Même s’il s’agit d’imagerie numérique, Bonnie Baxter n’a pas délaissé les techniques qu’elle affectionne. "Moi, je viens de la gravure; pendant 10 ans, j’ai imprimé pour Riopelle. Quand j’ai commencé à travailler avec le numérique, j’ai fonctionné de la même façon qu’en gravure. Ça m’a permis un certain confort." Comme pour un voyage en première classe.
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L’imagerie numérique, les portraits, l’autofiction