Paul Lacroix : L’autodafé d’un phoenix
Paul Lacroix, artiste de belle renommée, passait récemment le cap des 80 ans. Toujours enfiévré par le désir de créer, il inaugure une troublante rétrospective cette semaine chez Lacerte.
Il y a, en art contemporain, un débat qui ne manque pas d’embraser les passions: l’artiste se joue-t-il de nous ou est-il authentiquement épris d’une quête de vérité qu’il veut partager? Pour abolir les préjugés, nous nous sommes entretenu avec ce créateur n’ayant rien perdu de sa verve et de sa qualité de gentlemen. En effet, loin d’être rompu par la "vieillure", comme il se plaît à l’appeler, Lacroix propose avec un esprit vif et sagace Inventaire d’une vie avant liquidation, une exposition qui revendique, de façon poignante, l’inquiétude de l’homme face à la mort.
Que laisser et à qui? Parmi la somme des oeuvres et souvenirs accumulés souvent à la suite de nombreux efforts, comment juger dignement de ce qui doit être oublié? Sinon, que peut-on encore créer à un âge si avancé? Expliquant une oeuvre de grandes dimensions particulièrement belle et sensuelle, réalisée en chambre noire, Paul Lacroix nous confiait: "J’ai eu peur du chiffre. Quand je suis arrivé à ma 80e année, j’ai été profondément bouleversé et j’ai ressenti l’urgence de faire. J’ai eu l’idée folle de radiographier mes dessins de lèvres au fusain. Comme c’était techniquement impossible, le photogramme s’imposait comme une solution qui allait me mener dans de toutes nouvelles directions." Retraçant le chemin parcouru, l’exposition sera aussi l’occasion de revoir la suite des "ombres" du début des années 1990, soit des autoportraits en polaroïd, un média qui recouvre une certaine popularité ces dernières années.
Cela dit, ce qui risque de choquer, ce sont plutôt les autodafés que Lacroix aura faits depuis des oeuvres plus anciennes et réduites en cendres. "J’ai monté une potence dans mon arrière-cour, à l’abri des regards, et j’ai mis le feu à certaines oeuvres qui m’étaient chères pour leur donner une seconde vie." Geste libérateur s’il en est, revisiter le souvenir et le détruire d’une flamme oscillant entre lucidité et détachement suscite toujours l’angoisse. Et alors que la mort attend là, patiente et tapie, c’est de la grande nuit métaphysique qu’il est question, cette nuit menaçante que le feu sacré semble repousser indéfiniment. La passion, croyons-nous, possède ce pouvoir et c’est d’ailleurs ce que Nicole Jolicoeur écrit dans une correspondance avec l’artiste qui a été parsemée dans le catalogue de l’exposition: "Cher Paul, sais-tu que je te trouve plus vivant que jamais?"
Tranchant le débat, cet accrochage de Lacroix s’inscrira sans aucun doute comme un bel argument à envoyer aux malheureux qui cherchent dans l’art courbettes ou gentillesses et renversera le conservatisme d’une trop grande majorité qui espère encore y trouver Distraction, Insouciance, Réconfort. Espérons que cette exposition, par tout ce qu’elle annonce de sincérité et d’interrogations, en cherchant au fond des choses, éclairera les consciences contemporaines d’une franche incandescence.