Chloé Sainte-Marie : Ensemble, c’est tout

À quelques heures du vernissage, Chloé Sainte-Marie tourne tendrement les pages d’un portfolio pour me montrer des dessins d’elle qu’a faits son amoureux, tout au long de leur vie commune: Chloé qui s’émerveille devant les couleurs d’une roche, Chloé fâchée. Il y en a des centaines… "Il dessinait chaque jour, Gilles! Cette exposition, c’est notre vie, de notre rencontre en août 1981 jusqu’au jour de son décès."

Presque un an, d’ailleurs, après le décès du réalisateur. Et pour pallier l’inacceptable, il s’agit de le faire vivre encore, et de poursuivre un projet dont ils ont longuement parlé: celui d’exposer ses oeuvres picturales. Plus de 400 objets seront accrochés dans cet espace du Marché Bonsecours qu’il aimait tant. Des toiles, des photos et des dessins créés dans cet amour fusionnel qu’était le leur, mais aussi des scènes de vie, des notes manuscrites. Une sorte d’hommage à leur histoire, en somme.

Pour ce faire, les pièces où ils ont vécu ensemble ont été pratiquement reconstruites. "Même les couleurs des murs. Et puis ce tapis persan, je l’ai acheté avec Gilles. Tu vois les meubles, l’armoire autrichienne, le piano? Il est fabuleusement beau, ce piano! Je vais apporter les bibliothèques avec les livres d’art de Gilles. Tu sais que Gilles a étudié aux Beaux-Arts? Il y aura des imprimés qui viennent du Fonds Gilles-Carle des Archives nationales, les gens pourront dessiner dessus. Je vais apporter un frigo, un four, on va faire de la bouffe. Je souhaite que les gens qui viennent ici prennent un café, un verre de vin, qu’ils s’assoient et regardent tranquillement. C’est important, vraiment. Et d’ailleurs, ça me glace toujours, dans les galeries, quand je vois des oeuvres toutes seules avec rien."

Des dessins de coin de table, un portrait de Gilles par Chloé, un tableau pour souhaiter bon voyage, des photos qu’ils passaient des jours à faire et qu’ils passaient des nuits à développer ensemble. "Il y a des dessins tellement drôles! As-tu déjà vu ses caricatures?" Sur les photos plus anciennes, Chloé a 18 ans et une bouille de petite fille. Chloé qui prépare le café, Chloé avec une perruque qui vient d’un de ses films, Chloé à l’envers dans l’escalier, Chloé avec la camisole de Gilles, Chloé sans vêtements, Chloé dehors. Tout un petit peuple de Chloé dans l’intimité quotidienne. "Tu vois ici? Ça dit Pour Marie-Aline Joyal, c’était mon nom. Il a peint jusqu’en 2004, et ça, ce sont ses dessins de fin de vie; il choisissait un crayon feutre, on le mettait dans sa main et il laissait le papier s’imbiber d’encre. Celui-là est magnifique…"

"Notre vie, c’était une vie dans la création. On a fait ça sans trop y penser, on a fait ça dans l’amour. Le cadrage et la lumière, c’était sa force, à Gilles. Là, on venait de se réconcilier, c’est pour ça que j’ai un drôle de regard. Tu vois cette planche-contact? C’est le matin de notre première nuit ensemble." Elle sourit. "À ce moment-là, j’étais tellement loin de penser que des gens allaient voir ces photos… c’était pour jouer, c’était nos jeux à nous."

"Ici, ça va être la scène. Je veux faire des spectacles, des soirées de poésie, de peinture, de photo, de littérature; je pense à m’installer un lit sur une mezzanine, tant qu’à faire." Elle est drôle, Chloé Sainte-Marie. Elle ressemble à une petite flamme bondissante aux cheveux rouges qui ne tient plus en place devant les photos grand format qui viennent juste d’arriver et qui se font déballer. Parce que l’exposition prend enfin forme. "Je commence à voir le sens que ça va prendre, une fois que tout sera sur les murs. Ça a été long! Ça a pris deux ans pour choisir les oeuvres."

Mais tu sais que ça risque de te donner la piqûre du commissariat? Elle sourit. En fait, elle aime tellement ça qu’elle a déjà des projets: "Les réalisateurs sont souvent d’excellents artistes visuels… j’ai envie de continuer à montrer le talent des gens que j’aime." www.parcequecestlui.com