Colin Campbell : Sublime queer
Le vidéaste Colin Campbell savait jouer avec les codes de représentation pour défier les normes sociales. Une oeuvre brillante et drôle.
L’a-t-on oublié? Colin Campbell (1942-2001) a été un des pionniers de l’art vidéo au Canada. À partir du début des années 70, cet artiste, né au Manitoba mais ayant vécu à Toronto, a abandonné la sculpture et réalisé une cinquantaine de vidéos remarquables, ainsi que plusieurs performances. Membre fondateur du centre de distribution vidéo Vtape à Toronto, il a représenté le Canada aux biennales de São Paulo (1977), de Venise (1980) et d’Istanbul (1992). Ses oeuvres ont été montrées au MoMA, au Whitney… Il était donc important que les Oakville Galleries montent cette rétrospective intitulée Des gens comme nous: Les potins de Colin Campbell.
Le titre de cette expo rend compte de la place de l’anecdote, de la rumeur, du commérage, du petit récit réinventé, comme outil de contestation du discours normatif (dans son oeuvre et dans la société). Campbell interroge les mythes de son époque. Cela va de l’identité gaie (vue de l’intérieur et de l’extérieur) au soap opera, en passant par la figure de l’historien de l’art…
Bien avant que les travestis deviennent socialement acceptables, que les drag queens soient à la mode, que RuPaul et Mado Lamotte fassent de la téléréalité, Colin Campbell a su personnifier et montrer dans ses vidéos des êtres différents. Il a joué, souvent avec subtilité et de façon désarçonnante, sur l’ambiguïté sexuelle. Il a cultivé un look androgyne et une aura de bisexualité qui lui ont permis de contester les normes et l’hypocrisie de la société dominante.
Il faut voir ses premières vidéos, comme True/False (1972), où il manipule l’atmosphère de confidences et de (fausse) intimité créée par le gros plan de la caméra. Chaque énoncé qu’il y fait ("Je fume du pot", "Je continue à me masturber", "J’ai eu des morpions", "Je suis hétérosexuel", "Je suis exhibitionniste"… ) est suivi des mots "vrai" et "faux" qui court-circuitent l’apparence de vérité de ce dispositif, toute catégorie identitaire et toute idée de normalité.
Dans Sackville, I’m Yours (elle aussi de 1972), sorte d’autofiction avant la lettre, Campbell met en scène (en le déconstruisant) l’imaginaire du screen test au cinéma (repris aussi par Warhol), les entrevues de vedettes à la télé… Autodérision, questionnement sur l’identité sexuelle, humour camp et attitude de dandy s’y mélangent et s’y recomposent avec brio.
Une oeuvre majeure.
À voir si vous aimez /
Les vidéos de Warhol (et si vous détestez les portraits de vedettes de Warhol)